https://www.justifit.fr/b/guides/droit-penal/limites-droit-blaspheme-france/

« La loi est claire : nous avons droit au blasphème, à critiquer, à caricaturer les religions. L’ordre républicain n’est pas l’ordre moral. Ce qui est interdit , c’est l’appel à la haine, l’atteinte à la dignité ». Emmanuel Macron, 12 février 2020.

Non monsieur Macron ! Il n’existe pas de droit au blasphème, si pour autant le droit à la liberté d’expression ne souffre d’aucune exception. Mais nous ne sommes pas dans le même contexte, comme votre prétention voudrait nous le faire croire. Vous êtes hors sujet ou, pour le dire plus trivialement, à côté de la plaque… mais ce n’est pas nouveau depuis que avez accédé à la magistrature suprême en France. En trois lignes vous mélangez tellement de notions importantes que votre propos ressort d’un vulgaire amalgame qui atteste un tragique manque de réflexion.

Et n’allez pas me répondre que je serais dans le camp de ceux qui aujourd’hui seront confrontés à Mila qui viendra au tribunal judiciaire de Paris. Si les réactions des 13 internautes sont d’une violence disproportionnée qui confine à un irrationnel absurde, la provocation des propos de Mila doit aussi être soulignée pour leur vulgarité. On trouvera sur http://kiosque.lefigaro.fr/…/77743845-5ddc-40fb-bb67… un échantillon de ses propos. N’attendez pas de moi que j’érige cette jeune fille en héroïne de la liberté d’expression. On entre là dans un marécage putride entretenu par le mauvais goût et l’indécence de ceux qui pensent qu’au nom de la liberté d’expression on peut… voire on a le droit ! de tout dire. Invoquer le « droit au blasphème » relève de la stupidité indigne de celui qui le réclame… quand de plus il souligne que l’interdit touche à l’atteinte à la dignité. Je ne sais pas ce qu’il considère comme une atteinte à la dignité. La caricature est une chose mais il serait juste que l’on reconnaisse qu’elle est génératrice d’un climat de haine de l’autre. Il suffit d’aller… -mais n’y allez pas tellement c’est ordurier- sur le site de Charlie Hebdo pour voir comment la caricature est un véhicule de la haine, du mépris, de l’exclusion, de la vulgarité extrême… et de la laideur.

Quand F. Dostoïevski, dans l’idiot fait dire au prince Mychkine, d’après son interlocuteur Hippolyte Terentiev : « Est-il vrai, prince, que vous avez dit un jour que la « beauté sauverait le monde » ? », on comprendra que ce n’est pas de Charlie Hebdo que le salut viendra ! Pour requalifier nombre de torchons suintant la haine publiés par Charlie Hebdo, (voir infra le développement de Christiane CHANET, Conseillère honoraire à la Cour de cassation, ancienne présidente du Comité des droits de l’homme des Nations unies, parue dans Libération). Enfin et avant de poursuivre, mais c’est tout un chapitre que Mr Macron n’a même pas abordé, il ne lui est même pas venu à l’esprit qu’il existe aussi un droit autrement plus important : le droit à la liberté de conscience que les lois qu’il promeut écornent de plus en plus. Sait-il même ce que veut dire « liberté de conscience » ?

Quant à l’ordre républicain je renvoie à sa définition vraie : c’est plutôt « l’ordre public » https://www.dictionnaire-juridique.com/…/ordre-public.php

« Il y a peu de notions juridiques qui soient aussi difficiles à définir que celle d’ordre public ». Il s’agit de l’ensemble des règles obligatoires qui touchent à l’organisation de la Nation, à l’économie, à la morale, à la santé, à la sécurité, à la paix publique, aux droits et aux libertés essentielles de chaque individu. Dans notre organisation judiciaire les magistrats du Ministère Public sont précisément chargés de veiller au respect de ces règles, ce pourquoi ils disposent d’un pouvoir d’initiative et d’intervention. Nul ne peut déroger aux règles de l’ordre public, sauf le cas des personnes auxquelles elles s’appliquent, si ces règles n’ont été prises que dans leur intérêt et pour leur seule protection. Consulter la définition de cette notion sur le site du Conseil Constitutionnel.

Quant à l’ordre moral : on en trouve la définition ajustée chez René Rémond : L’expression « ordre moral » dans son acception contemporaine trouve son origine au début de la IIIe République, au lendemain de la défaite de la France et de l’écrasement de la Commune de Paris. « L’Ordre moral est une coalition des droites qui se forme après les chutes successives de Napoléon III et du gouvernement républicain provisoire. C’est aussi le nom de la politique souhaitée par le gouvernement d’Albert de Broglie formé sous la présidence du maréchal de Mac-Mahon à partir du 27 mai 1873. » Et chaque fois qu’elle se verra en danger la République prendra des mesures répressives et elle le fera au nom de la défense de « l’ordre républicain ». De même que la gauche appellera à la constitution d’un « front républicain » réunissant toutes ses composantes chaque fois qu’elle estimera la République en danger. Sous couvert d’ordre républicain, on prendra des mesures qui s’apparentent à l’ordre moral.

Et pour terminer que dit le droit sur le blasphème. https://www.liberation.fr/societe/2015/02/24/oui-on-a-le-droit-de-blasphemer_1209248/

Christiane CHANET, Conseillère honoraire à la Cour de cassation, ancienne présidente du Comité des droits de l’homme des Nations unies. « Qu’est-ce que le blasphème ? Selon l’étymologie gréco-latine, blasphème signifie faire injure à une réputation. L’évolution du terme depuis le XVIe siècle tend à se limiter à l’injure faite au fait religieux. Le blasphème est constitué par une parole, un discours, un écrit, alors que le sacrilège est un acte perpétré contre une religion. Quel droit régit le blasphème ? La Déclaration universelle des droits de l’homme, en son article 19, développé par l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, traité onusien contraignant ratifié par 168 Etats, consacre le principe de la liberté d’expression. Toutefois, cette liberté n’est pas absolue et peut comporter des restrictions. Celles-ci doivent avoir pour but soit de protéger la réputation des personnes soit d’obéir à des impératifs d’intérêt public. Ces restrictions n’incluent pas le blasphème, selon la position exprimée par le Comité des droits de l’homme de l’ONU, organe indépendant chargé de veiller à l’application du pacte et au respect de leurs obligations par les Etats parties. En dépit de cet obstacle juridique, nombreux sont les Etats qui sanctionnent le blasphème. Si, en Europe, cette répression est encore prévue dans certains textes constitutionnels ou législatifs de plusieurs pays, elle n’est plus appliquée. Quelques tentatives de poursuites récentes, notamment en Grèce, ont cédé devant les pressions de l’Union européenne. En revanche, la plupart des pays non laïcs d’Afrique du Nord, du Moyen-Orient et d’Asie répriment le blasphème : en Iran et au Pakistan il est puni de la peine de mort. Le cas de la jeune chrétienne Asia Bibi, condamnée à mort de ce chef au Pakistan, a ému les défenseurs des droits de l’homme.Conscients de cette distorsion entre le droit international et leur droit interne, plusieurs Etats, sous l’impulsion de l’Organisation de la coopération islamique, ont tenté d’obtenir au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, en 2011, une résolution qui reconnaîtrait l’interdiction de la diffamation religieuse. Cette tentative a échoué.Faut-il en conclure que toute attaque visant une religion jouit de l’impunité ? L’article 20.2 du pacte cité ci-dessus interdit l’appel à la haine religieuse, si celle-ci constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence. La législation française ne connaît pas le blasphème. Une disposition le réprimant figure encore dans les textes issus du Concordat régissant les religions catholique, protestante et israélite en Alsace-Moselle, mais elle est tombée en désuétude. En revanche, la législation française sanctionne de lourdes peines, y compris des peines d’emprisonnement, les injures et les provocations à la discrimination, à la haine, à la violence, à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de son appartenance ou sa non-appartenance à une religion déterminée. Ces faits peuvent résulter de propos, de discours ou d’écrits. Par ailleurs, l’apologie de crimes tels que les meurtres ou les actes de terrorisme sont également sanctionnés avec la même sévérité. On observera que la répression des injures et des provocations exige à la fois que les propos ou écrits constituent un appel, une exhortation à la discrimination, à la haine, à la violence et soit dirigé contre une ou plusieurs personnes. En conséquence, la loi ne protège pas la religion elle-même ni ses attributs contre des critiques qui en France relèvent du débat d’idées. En revanche, l’apologie du crime est réprimée en soi, sans que des personnes soient visées en particulier. Ceci explique pourquoi on peut poursuivre la formule «  me sens Charlie Coulibaly » (le polémiste Dieudonné est actuellement en procès pour l’avoir postée sur Facebook), et la poursuite serait la même contre quiconque dirait publiquement « Je suis Charlie Mesrine ». En conclusion, le droit international, et le droit français qui se situe dans la droite ligne de ce dernier, concilient de manière équilibrée la liberté d’expression et la nécessité de protéger les personnes de toute injure ou provocation à raison de sa religion : on peut heurter une sensibilité au nom de la liberté d’expression, mais on ne peut exhorter à discriminer ou à exercer des violences contre ceux qui adhèrent à une religion. »

Alors, non, Monsieur le Président de la République : le droit au blasphème n’existe pas !

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