Je t’ai envoyé ta « lettre de mission ».
Je n’ai pas reçu de nouvelles et tu voudras bien confirmer si tu as reçu mon courrier et comment tu l’as reçu.
Depuis quelques jours la situation a bien changé et tu auras sans doute appris que le représentant en titre de l’ennemi a renoncé à l’exercice de la charge qu’il portait, pour des raisons dont il a informé ses pairs et tous ceux qui dépendaient de son autorité.
Cela change et ne change pas substantiellement notre stratégie.
Ce qui ne change pas c’est qu’après un temps de « vacance » un autre prendra sa place.
Ce qui peut changer c’est que ces périodes de transition sont intéressantes pour nous, car nous avons là une belle occasion d’entretenir le trouble dans les esprits. Tu prendras le temps de t’informer de tout ce qui se dit et surtout de qui le dit.
Il est vrai que la situation est tout-à-fait inédite. Comme cela ne s’est jamais vraiment produit jusqu’à présent, la perspective est novatrice et donne libre cours à toutes les interprétations.
Les médias sont prolifiques sur le sujet et toutes les hypothèses ont été dessinées à grand renfort d’imagination, ce qui nous amuse beaucoup ici. Il n’y a pas tant de motif de réjouissance de notre côté que nous trouvions au moins un peu de satisfaction de constater que les choses ne vont pas très bien sur le terrain où tu es chargé de réaliser les exploits que nous attendons de toi !
Laisse-moi te donner quelques pistes pour mettre à profit cette période qui peut en déstabiliser pas mal.
- Il y a les pessimistes :
« … Pensé avec tristesse à tout le terrain perdu par l’Eglise. Elle ne mourra pas puisque le Christ a dit que les portes de l’enfer ne prévaudraient pas contre elle, mais il est possible que vienne le jour où la vérité ne sera plus représentée que par quelques millions de catholiques persécutés ayant à leur tête un petit vieillard en soutane blanche qui se cachera dans je ne sais quelle catacombe. Quand le Fils de l’homme reviendra sur la terre, pensez-vous qu’il trouvera encore la foi ?[1] »
Ceux-là tu peux les oublier, ils sont sans importance. Ils vivent comme des reclus dans un asile spirituel où ils se morfondent en regrets stériles.
- Il y a les partisans d’un changement radical :
« Il m’a surpris. C’est une des choses positives de son pontificat de dire : « Voilà, je pars… « . C’est un acte de lucidité et de courage. « Bravo, c’est un acte de modernité que sa démission », dit le prélat aux positions souvent considérées comme contestataires au sein du clergé. Sur son pontificat, je suis réservé (…) Je ne pense pas que c’est le pape dont le monde catholique avait besoin. Il a accentué le conservatisme de l’Eglise. Il n’a pas ouvert les portes », a regretté le prélat, citant les questions de bioéthique, de sexualité, les femmes ou encore l’ordination des prêtres.[2]»
« Nous avons besoin d’un pape qui soit davantage un curé qu’un professeur. Un représentant de Jésus capable de dire : « Si quelqu’un vient vers moi, je ne le renverrai pas » (cf. Jean 6, 37[3]) qu’il soit un homosexuel, une prostituée ou un transsexuel. [4]»
Ceux-là tu devras les soigner parce qu’ils servent nos intérêts, mais uniquement par leurs discours. Sinon ils sont plutôt « has been ».
- Il y a ceux qui n’y connaissent pas grand-chose mais qui ont toujours quelque chose à dire surtout sur les sujets qui sont aux antipodes de leurs intérêts personnels :
Le député de l’Essonne Nathalie Kosciusko-Morizet, y a vu, elle, « Un signe de modernité (…) assez paradoxal de la part d’un pape qui a marqué par une théologie assez traditionnelle ».
« Un avis partagé par l’ancien ministre de l’intérieur Claude Guéant qui a estimé le même jour sur Canal + que cette décision était « une bonne nouvelle » qui montre « la capacité de l’Eglise de se renouveler et d’embrasser une forme de modernité »[5].
Ceux-là aussi tu peux les négliger, ils sont des verts-luisants qui ne brillent que sous l’éclairage de la lumière obscure des médias !
- Enfin il y a les vrais, les authentiques, les « durs-à-cuire », ceux qui resteront malgré toutes les tempêtes … Hélas avec ceux-là tu risques de perdre ton temps.
J’attends ta réponse et tiens-moi au courant de tes (nos !) affaires.
Ton oncle, le sbire de Shaitân
2013.03.03
[1] Julien Green, Journal T III
[2] Mgr J. Gaillot, ancien évêque d’Evreux (1982) Evêque in partibus de Parténia depuis 1995. http://www.leprogres.fr/france-monde/2012/08/03/mgr-gaillot-eveque-de-partenia-loin-des-micros-et-des-cameras
[3] Le texte officiel dit, et il vaut la peine de compléter la citation pour la placer dans son vrai contexte :
37 « … celui qui vient à moi, je ne le jetterai point dehors.
38. Car je suis descendu du ciel pour faire, non ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé.
39. Or, la volonté de celui qui m’a envoyé, est que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a donnés, mais que je les ressuscite au dernier jour.
40. Car c’est la volonté de mon Père qui m’a envoyé, que quiconque voit le Fils et croit en lui, ait la vie éternelle ; et moi je le ressusciterai au dernier jour. »
[4] Léonardo Boff (Le Monde, 2013.02.28 Cahier « L’Eglise après Benoît XVI »). L. Boff a été l’un des chefs de file de la théologie de la libération dans les années 1970-1980 au Brésil. En 1992, il quitte le sacerdoce.
Commentaires récents