Mon cher cousin,
Ton oncle t’a donné un conseil judicieux en te recommandant de t’informer sur ce qui se dit sur le sujet dans les médias.
J’ai moi aussi suivi ce conseil –enfin pour le dire plus vrai, je n’ai pas attendu qu’il le dise !- et je voulais aujourd’hui te donner quelques aperçus de la presse à partir d’une sélection d’articles particulièrement intéressants. Les souris » ont fait beaucoup de kilomètres sur leur petit tapis, depuis l’annonce par Benoît XVI de sa décision de remettre entre les mains de Dieu la charge qu’il avait reçue le 19 avril 2005. Heureusement, ça se tasse un peu, comme il est habituel, l’actualité étant de loin dépassée par la fiction qui est le domaine d’élection de la plupart des journalistes, davantage intéressés par ce qui pourrait être que par ce qui se passe dans la vraie vie.
Alors, en attendant la prochaine poussée d’urticaire qui provoquera un prurit généralisé à l’échelle de la planète, quand la fumée blanche sortira de sa petite cheminée, je te fais la primeur de ma revue de presse, une sélection d’articles emblématiques de l’atmosphère qui entoure l’événement.
Je présume que tu n’auras pas le même regard que moi sur les articles parus dans les médias.
Je limiterai mes commentaires à ceux qui m’ont le plus marqué et, en t’avouant d’entrée de jeu que je ne partage pas vraiment les opinions qui sont émises. Ceux qui ont attiré mon attention sont, à mon sens, un peu « trash » … mais tout compte fait cela ne devrait pas te déplaire que je leur fasse de la publicité à ta place.
Dans la catégorie « Médias » je donne la dent de requin d’or au journal Le Monde, qui pour le coup mériterait bien le titre de « magistère de l’antipapisme primaire ». Mais tu n’es pas sans savoir comme moi que ce journal, qui a la prétention de l’indépendance vis-à-vis de toutes les instances qu’elles soient politique, économique, idéologique et bien entendu religieuse … survit grâce au bon vouloir et aux moyens financiers de quelques lobbies puissants auxquels il se doit de faire allégeance.
Dans la catégorie « Journalistes », j’accorde le croc d’argent à Stéphanie Le Bars[1] pour l’article « Vigueur », en forme d’éditorial dans un Cahier daté du 27.02.2013 sous le titre « l’Eglise après benoît XVI ». J’ai repris les passages marquants, dont certaines citations de Benoît XVI lui-même qu’elle a le bon goût de reprendre. C’est le gage d’une certaine bonne foi.
« Dans le monde d’aujourd’hui, sujet à de rapides changements et agité par des questions de grande importance pour la vie de la foi, pour gouverner la barque de saint Pierre et annoncer l’Évangile, la vigueur du corps et de l’esprit est aussi nécessaire. » (Benoît XVI, 11 février).
Il a invité ensuite un prochain pape nécessairement « vigoureux » à mettre fin aux « rivalités et divisions » de l’Eglise catholique.
(Il a souligné) « l’urgence d’une nouvelle gouvernance, d’autant que les défis qui se présentent – sécularisation, pluralité religieuse, crise des vocations – sont nombreux. Sans parler des difficultés de l’institution à faire partager sa vision de la famille et sa conception de la morale sexuelle.
Le prochain pontificat, encore plus que celui qui s’achève, sera placé sous le regard d’une opinion publique et de médias toujours plus exigeants en matière de transparence. Cette culture demeure balbutiante dans une Eglise trop souvent prise au piège de ses contradictions entre l’idéal de ses enseignements et les pratiques de certains de ses représentants. …
De là dépendra aussi la capacité de l’Eglise catholique à se faire entendre sur des thèmes qui dépassent le cercle des seuls croyants comme en témoigne son message sur la doctrine sociale, sur l’accueil de l’étranger, ou ses mises en garde contre un capitalisme sans limites. »
Mon commentaire : tu remarqueras que l’accent est mis sur les éternels poncifs de l’incapacité de l’Eglise et de la hiérarchie –concept insupportable ! – à s’adapter au monde moderne avec lequel elle creuse un abime insondable par sa volonté de ne pas sortir de ses convictions en matière de morale et surtout sexuelle. Comme si l’être humain pouvait se résumer à cet espace anatomique … parce que pour ce qui est la dimension spirituelle de ce même espace … !
Dans la même catégorie, la griffe d’or est attribuée à Solange Bied-Charreton[2].
Je dois avouer que j’ai lu avec un plaisir presque peccamineux cet article plein de verve et d’un humour décapant que j’apprécie par son côté déjanté.
Je vais m’arrêter un peu plus longuement sur cet article parce qu’il est nécessaire de le décortiquer. Il va sans dire que le lire au premier degré lui enlève toute sa saveur… je devrais dire son piquant.
Je ne sais pas à vrai dire, jusqu’à quel degré il faut monter pour le lire et en tirer tout l’enseignement. L’écrivaine (ou l’auteure) [3] écrit « diablement » bien ! J’espère que tu apprécieras le qualificatif. Il est quand même rare dans ma prose, moi qui n’entends pas fréquenter même de loin les parages de ton lieu de détention coutumier, en dehors de tes missions sur le terrain.
J’ai fait pour toi une sélection-florilège de l’article et je te recommande vivement la lecture de l’intégralité dont tu transmettras une copie à ton patron, je pense que ça l’intéressera.
D’abord faisons les présentations : la « ravissante idiote [4]» se définit elle-même ainsi :
« Trentenaire urbaine, j’habite Paris depuis ma naissance. J’ai fait des études supérieures, voyagé aux Etats-Unis, appris à jouer de la guitare. Pris de la drogue, connu des hommes, visité des musées d’art moderne. J’ai su me confronter à des œuvres dérangeantes, d’inspiration tribale, de facture révolutionnaire. »
Je te préviens d’avance, et tu vas peut-être avoir honte pour moi d’avoir aimé cet article qui sent la « provoc » à mort, mais, pour faire « djeuns », quand j’ai lu ça j’étais quand même mdr [5]!!
« Malgré l’extravagance de son accoutrement, il a bien fallu se rendre à l’évidence : le pape est un homme comme les autres. Il n’est plus adapté. Qu’allons-nous donc devenir sans Benoît XVI, ce repère idéal pour penser autrement, ce monument de ringardise ? Ce pape était tout ce qu’il nous restait, ou presque, d’intolérable. Il était encore pire que le précédent. »
Tu avoueras que, comme entrée en matière, il y a plus soft ! Au moins cette introduction a le mérite d’afficher la couleur.
Sans faire tout le travail à ta place, je vais te livrer mon analyse en deux volets :
Ce que la signataire nous révèle d’elle-même
Comment elle voit le prochain pape :
« Je rêve d’un monde plus libre, où l’on pourrait faire ce que l’on voudrait, dans le respect des normes de sécurité et de respect mutuel. Je n’ai pas vu la société évoluer, je n’ai pas non plus contribué à ce qu’elle évolue. J’aurais bien volontiers manifesté contre la loi instituant le contrat première embauche (CPE) en 2006, mais à ce moment-là je révisais un concours. On m’a laissée très libre. En réalité, on ne m’a rien laissé que des doutes, on ne m’a rien offert que des choix infinis, mais on m’aura tout de même appris à trier mes ordures. C’est la monnaie de ma pièce, le revers peut-être bien. (…) Arnaud Fleurent-Didier l’a très bien traduite dans sa chanson « France-Culture », cette absence de transcendance qui nous colle à la peau, cet évanouissement des fondamentaux, cette perte du sens. Cet impératif du fun qui est notre seul devoir. Ce droit au dialogue permanent qui ne nous contente pas. Il nous faut des romans pour décrire cet après qui déteste l’avant » (dans lesquels) des trentenaires d’aujourd’hui, les bébés bienheureux de la génération Mitterrand, recréent leurs contraintes et s’enfoncent avec elles dans leurs contradictions. »
Il est vraiment intéressant de lire cet aveu, jailli comme un cri du cœur du tréfonds d’une effrayante détresse qui ne veut pas l’avouer, expression de la désespérance d’appartenir à une génération qui n’a reçu que du « savoir vivre libre » sans savoir pourquoi ni dans quel but : « … on m’aura tout de même appris à trier mes ordures ». Les ordures ménagères, certes, mais toutes celles qui s’accumulent dans l’âme (… ça existe ?) et pour lesquelles il n’y a pas de sacs, de benne, de déchetterie … on n’a rien prévu. Alors comme il faut bien les vider quelque part, ces « ordures d’un autre type », on se défoule sur toute sorte de boucs émissaires sur lesquels on les déverse à longueur d’articles.
Le plus tragique est cet autre cri du cœur qui n’ouvre pourtant pas sur l’espérance et qui s’enfonce dans le vide, un vide sidéral.
Alors un nouveau pape, oui mais « que le nouveau pape soit différent des autres. Nous voudrions d’un pape qui soit à notre image. Nous voudrions d’un pape à la portée de tous. Un pape si possible moins ancré dans le passé. Un pape assez ouvert pour discuter avec nous, par messagerie instantanée. Un pape pour régler tous nos problèmes de couple. Un pape trendy, qui laisserait un peu la théologie de côté. Un pape qui transforme les églises en espaces de prière et les confessionnaux en espaces détente. Un pape qui se la coule douce. Un pape de tolérance, un pape de résistance. Un pape que tu peux appeler quand t’as pas le moral. Un pape jeune et fort. Un pape grand et beau. Une image positive, c’est mieux pour faire passer le message. Un pape pas toujours habillé pareil. Un pape qui se prend pas la tête. Ou, mieux, un pape vintage, un pape dans son jus. Un pape customisé, en vitrine. Un pape souriant sur une affiche dans ma cuisine, Un pape qui réinvente, un pape qui redécouvre, un pape qui revisite un peu le modèle papal. Un pape en papier peint, ambiance vide-grenier, qu’on achète d’occasion. Le pape est le meilleur ami de l’homme. »
(Drôle quand même !)
Et malgré cette inspiration profonde d’une bouffée d’air un peu plus pur, cette éclaircie en bleu pastel dans un ciel plombé, l’article plonge à nouveau dans la tourmente de l’orage, comme la rechute inexorable, typique du syndrome bipolaire.
« Un pape insupportable, irrécupérable, trop ringard, qui fait honte. Un pape-autorité, pour pouvoir le combattre. Un pape du Moyen Age, voire un pape archaïque. Un pape que je puisse facilement traiter de fasciste quand il dépasse les bornes.
Un pape toutes options, muni de fâcheux dérapages dans le domaine des mœurs, un pape d’erreurs de communication révélant sa vraie nature de pape. Un repoussoir de rêves. Un empêcheur de changer le monde. Et vieux, s’il vous plaît, le plus vieux possible. Un pape qui comprend rien aux jeunes, au monde moderne qui évolue. Un pape « old school », qui tient la porte aux dames, envoie des bouquets de fleurs…
Je veux un pape contre qui se révolter. Je réclame un pape contre qui faire des manifs. Je veux pouvoir casser du pape. Comment j’existerais si je ne puis contester le monde ancien, m’affirmer sans avoir à détruire des siècles et des siècles d’histoire ?
Alors j’aimerais autant que l’ennemi soit identifiable, merci d’avance. »
Enfin ce constat qui donne la mesure de l’incompréhension abyssale de cette même génération saccagée, reconnaît implicitement Solange Bied-Charreton, selon « un modèle libéral, démocratique, (qui) m’a donné un certain dégoût, disons désintérêt, de la religion. Génération imperméable à la simplicité désarmante qui est le trait marquant de Benoît XVI, dont la stature intellectuelle n’a pas d’équivalent en ce siècle débutant (… pour ne pas parler du précédent déjà entré dans les archives de l’histoire).
« Le pape est resté debout, et on ne sait pourquoi, pour braver le sens de l’Histoire, pour nous prouver que certaines traditions n’ont pas encore été avalées par le présent sans fin. »
Et d’appeler de ses vœux « un pape qui ne soit pas d’accord ! Je veux un pape de fight, je veux un pape pour se clasher avec. Un pape qui dit « non merci » quand tu lui proposes un joint, qui refuse de participer à des free parties, crache sur nos jeans skinny et nos afters deep house. Qui rechigne à bouger son corps quand il est invité aux sets des meilleurs DJ de la planète. »
Cette lecture pour désarmante, voire suffocante qu’elle soit, ne laisse pas aussi d’être édifiante et sous la plume sarcastique pointe, peut-être, un semblant de tendresse (… toute intellectuelle tout de même) qui n’est peut-être pas la vraie charité mais qui me semble témoigner d’un réel intérêt pour la personne. Et surtout mêlée à des flèches un peu empoisonnées on voit affleurer toute la misère d’une génération durablement flétrie par le manque de repères des années où les roses étaient à la mode quand on croyait qu’elles étaient belles, parfumées et sans épine.
Eh bien oui, j’en terminerai par te confier, mon cher cousin, que nous sommes nombreux dans l’Eglise à appeler de nos vœux un pape pas tout-à-fait comme ça ni tout-à-fait comme les autres, qui sache résister sans faiblir à la tête d’une institution vieille de 2000 ans dont il n’existe aucun équivalent dans l’histoire, qui a traversé toutes les évolutions et les révolutions et qui survécu quand on la croyait moribonde même qu’il n’a pas manqué de fines lames pour tenter de l’achever.
Dans un prochain courrier je te dirai, à l’instar de le belle Solange, quel pape je souhaiterais.
A bientôt
PizziCatho
2013.03.07
[3] … Il paraît que l’orthographe d’aujourd’hui c’est comme ça … Je trouve ça très laid et je ne recommencerai plus.
[4] C’est (aussi) le titre d’un film français réalisé par Édouard Molinaro et sorti en 1964.
[5] Ou … lol ! Si tu préfères !
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