« Jésus souffre avec toi
pour que tu trouves la force de pardonner à toi-même, aux autres et à
l’histoire, et le courage d’accomplir une grande amnistie du cœur ».
Il est bien conscient qu’il s’adresse à un population meurtrie depuis de
longues années par les innombrables souffrances passées et toujours actuelles
engendrées par la haine.
Même un tribun hyperactif sur un canal d’inspiration très libertaire et accessoirement plutôt anticatholique[1] reconnaît la valeur des paroles du pape. Il est heureux de noter que l’accord peut toujours se faire sur des points de convergence, malgré la distance des convictions. Je ne partage pas vraiment les positions idéologiques de Daniel Mermet mais pour une fois je suis d’accord avec lui : « VIVE FRANÇOIS ! … le pape, oui ! Non, non, vous ne rêvez pas… »
Et de reprendre le mots-mêmes du pape, prononcés dans les jardins du palais
présidentiel : « Ôtez vos mains de la République Démocratique du Congo,
ôtez vos mains de l’Afrique ! Cessez d’étouffer l’Afrique : elle n’est pas une
mine à exploiter ni une terre à dévaliser ».
Ce discours qui a des accents politiques est tout à fait légitime parce que
la voix de l’Église n’est pas muette sur les sujets de société alors qu’une
conception étroite de la laïcité voudrait la réduire au silence.
Le pape a dit aussi : « La paix soit avec vous, la paix qui arrive dans les
cœurs en ruines ». Et il rappelle que les apôtres se trouvaient dans cet état
après la mort de Jésus sur la croix, au Golgotha. « Alors qu’ils ressentent en
eux la mort, [Jésus] annonce la vie, la paix au moment où tout semble fini pour
eux, au moment le plus inattendu et inespéré, où il n’y aucune lueur de paix ».
« Le Seigneur tend la main lorsque nous sommes sur le point de sombrer, il
nous relève quand nous touchons le fond ».
Avant de remettre le pouvoir de pardonner aux apôtres, Jésus montre ses
plaies, « parce que le pardon naît des blessures. Il naît lorsque les blessures
subies ne laissent pas des cicatrices de haine mais deviennent le lieu où faire
de la place aux autres et accueillir leur faiblesse. Alors les fragilités
deviennent des opportunités, et le pardon devient le chemin de la paix ».
[1] Mercredito
#30 | VIVE FRANÇOIS ! (le pape, oui ! Non, non, vous ne rêvez pas…)
Avec le vote que le Sénat vient de valider par 166 voix contre 152 par lequel il a opté pour inscrire dans la constitution, par l’insertion d’un simple alinéa : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse », il a emboîté le pas à un état d’esprit qui répond à un principe qui prend une valeur symbolique dont la France n’a pas à être fière.
Gregor Puppinck qui est
intervenu auprès des sénateurs pour les alerter sur le « piège idéologique »
du droit à l’avortement ne les a malheureusement pas convaincus.
Il va au bout de son
argumentation en dénonçant « un choix ontologique radical, l’affirmation
d’une conception de l’être humain matérialiste et volontariste, qui affirme la
domination de la volonté sur l’être »[1].
Nous ne sommes pas seulement dans
un débat d’idées théoriques sans implication dans la vie réelle. Il s’agit d’un
choix qui entraine la France dans une tragédie dont elle aura beaucoup de mal à
sortir parce que cette tragédie est d’abord un abandon de la femme à la
difficulté d’assumer la responsabilité de donner la vie. Elle est poussée
devant un mur infranchissable qui l’empêche de voir la beauté de transmettre la
vie.
Dans un remarquable exposé de la
situation si particulière dans laquelle se trouve actuellement la France en
Europe comme le leader devant bien d’autres nations voisines, l’Allemagne, l’Italie,
l’Espagne, la Suisse quant au nombre d’avortements, Gregor Puppinck nous
dévoile non seulement une situation inquiétante pour l’avenir avec une
démographie en berne mais aussi et peut-être surtout, parce qu’avec l’inscription
de « la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse » se creuse
de plus en plus l’inadéquation de cette prétendue liberté à la volonté de la
plupart des femmes de prendre en mains leur destinée de femme.
On laisse croire qu’elles vont gagner
en liberté alors que ce sont des chaînes que l’on se propose de leur imposer sous
le prétexte fallacieux d’être plus libres.
L’IVG n’est pas et ne sera jamais
une ouverture vers plus de liberté et moins encore vers un droit, même si le
vote d’une Assemblée validé par le Sénat laisse croire que c’est la décision d’une
vraie démocratie.
Qui pourrait penser qu’une loi
serait à même de « normaliser » un acte qui comporte deux versants :
la suppression d’une vie et l’abolition avec toutes ses conséquences de l’aide
qu’une nation se doit d’apporter à tous ses citoyens et en particulier aux plus
démunis d’entre eux.
Car les chiffres en apportent la
preuve : ce sont les plus pauvres, les femmes seules qui sont le plus
victimes, car peut-on les appeler autrement, de la pression exercée par la
société sans le recours aux aides nécessaires dans les situations où un enfant
devient non plus une joie mais un problème dont il faut se débarrasser.
Et pourtant la France s’est
engagée depuis la Conférence du Caire sur la Population et le Développement en
1994, à « réduire le recours à l’avortement » et à « prendre des mesures
appropriées pour aider les femmes à éviter l’avortement ».
Alors qui se réjouira de l’ajout
d’un simple alinéa à la Constitution, quand celui-ci aura pour conséquence, il
faut le crier haut et fort, le mépris de la femme en tant que femme alors que
dans bien des domaines on ne peut que se réjouir de la place qu’elle prend dans
les sociétés où, il faut aussi le dire, le « machisme séculaire » a causé
les plus grands dommages.
Et je reprendrai parce que je n’ai
pas de meilleure explication, celle par laquelle Gregor Puppinck conclut son
remarquable et vibrant appel :
« C’est un choix terrible
qui déclare que la destruction de la vie humaine est une liberté humaine. C’est
aussi un choix qui nous oblige à croire que l’homme n’a pas d’âme, mais
seulement un corps doté d’intelligence ».
Toute les
questions qui se posent en fin de vie à ceux qui sont appelés à « être là »
-professionnels de santé, proches, bénévoles, …- peuvent se résumer à une
seule : que dire ? Ou même seulement comment être ?
En effet il ne
s’agit pas tant de « faire » ni même, d’abord de « dire ».
Il faut tout simplement être là. C’est d’ailleurs sous cette appellation qu’ont
choisi de se définir les structures fédérées sous l’égide de la SFAP, Société
Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs.
Un constat
s’impose d’emblée : il sera toujours impossible, et en dépit de la plus
grande empathie, de prendre la place de celui qui aborde cette étape qui ouvre
ce qu’il est convenu d’appeler « le grand passage », qu’il reste toujours
aujourd’hui difficile d’appeler par son nom, la mort. Les discours très
empathiques du style « je partage ce que tu souffres » tombent
mal : en effet est-on conscient que la douleur ne se partage pas malgré
toute l’empathie dont on voudrait faire preuve ?
Toutes les
certitudes, toutes les assurances sur lesquelles on pouvait s’appuyer
s’effondrent quand la vie ne se conjugue plus au futur mais qu’elle est déjà
entrée dans l’histoire.
C’est le
moment d’affronter la grande solitude, la seule et définitive solitude de celui
qui s’en va et devant qui s’ouvre la porte qu’il ne fermera pas lui-même.
Il ne faut pas cacher ni se cacher l’hypothèse toujours possible de l’ultime angoisse. Elle est en embuscade sur le pas de la porte mais il reste encore une possibilité pour les proches de se tenir là pour prendre la main, pour accompagner car tout se résume dans ce seul mot mais qui pose une question essentielle : « comment bien accompagner ? ».
Celui qui est
sur le départ sera peut-être disposé à parler de sa mort, alors pourquoi sans
fausse prudence, sans esquive maladroite, ne pas saisir la perche tendue :
il faut apprendre à prononcer le mot, entreprendre ce pas de deux que pourrait
devenir le dialogue autour de la mort. On sait combien il est faux de faire
semblant, de donner un espoir qui n’a plus de sens sans pour autant renoncer au
sens le plus profond du mot espoir qui peut-être se convertira et nous
convertira, c’est-à-dire nous tournera vers, en devenant une authentique
espérance qui est aussi une vertu et pas seulement un état d’âme, une attente.
La mort
La langue française est riche de mots dont la signification s’articule comme un galaxie autour du mot mais le seul qui convient vraiment est celui de la vérité, de la sincérité : la mort. Nous allons tous vers ce moment que nous voyons toujours dans un avenir lointain, imprévisible et que quand tout va bien nous préférons tenir à distance. Alors brisons définitivement le tabou et acceptons de le dire : nous allons mourir et bien évidemment quand elle est là, non comme une ennemie ni comme une amie mais comme une compagne qui était déjà à nos côtés dès le premier instant, dès le premier cri : il faut apprendre à dire nous sommes mortels.
Et puisque
nous pouvons accepter qu’elle nous tende la main, essayons de la prendre, sans
la refuser parce qu’elle est aussi l’occasion de parler de sujets importants,
de ce qu’a été notre vie, … sans s’arrêter à compter les jours, les mois les
années…
Pour
commencer, celui qui accompagne doit abandonner toute attitude qui, au fond,
l’éloigne précisément de l’accompagnement : la plainte morbide qui exprime
un désespoir tourné vers soi parce qu’on va, c’est indéniable, perdre un être
qui nous est cher. Il faut sortir de l’orbite qui déplace le centre de gravité
vers soi en même temps qu’il nous éloigne déjà, avant l’heure, de l’autre, de celui
qui va partir, que nous abandonnons à sa solitude. Quand le moment s’approche
il n’est pas question de laisser monter en première ligne nos propres
sentiments, légitimes mais qui risquent de défaire prématurément un lien qui
est toujours actuel. C’est l’instant de l’amour, de la tendresse, de la
sérénité, de la paix intérieure, ce dont celui qui va partir a le plus besoin.
Le malade en
fin de vie est d’abord un malade et la fin de vie un accident de la maladie,
même s’il a quelque chose de révoltant. Il ne faut pas s’étonner qu’elle
déstabilise et qu’on reste sans voix et surtout sans la voix qui apporte le
réconfort.
Pourquoi ne pas donner au malade l’opportunité de parler de lui, de ce qui l’habite, en restant simplement présent pour écouter. A cette heure il se produit souvent, même si cela ne jaillit pas comme une source, le besoin de parler, d’exprimer peut-être des choses qu’il avait jusque-là laissées dans l’ombre et que la perspective de partir sans laisser de mémoire, lui suggère de dire, de confier. Alors laissons du temps au malade pour parler et surtout parler de lui-même s’il le souhaite. Il est plus important d’écouter que d’inonder la fin de vie sous un flot de paroles qui masquent la vérité d’une vie qui s’éteint. On pense à Job, seul sur son tas de souffrances dont les amis se tenaient là en silence.
De toutes les
maladresses qui peuvent encombrer ce moment essentiel de la vie, la plus grande
est peut-être de ne pas permettre à celui qui va nous quitter de s’exprimer,
même si toute l’expression peut parfois se réduire à un long silence. Mais il est
des silences plus éloquents que les plus beaux discours.
Les derniers instants
peuvent aussi être l’occasion de confidences qu’il faut voir comme une porte toujours
ouverte vers l’avenir : les ultimes confidences que le malade voudrait
laisser comme un testament non écrit mais qui le projette déjà dans cet au-delà
qu’il ne connaît pas mais qu’il peut préparer dans son cœur. Il ne faut pas
briser le lien qui subsistera toujours et qui n’est pas rompu par la
mort : le lien qui nous unit, même si nous ne savons pas bien comment, et
qui ne sera jamais brisé même par la mort, le lien spirituel. C’est une
occasion unique de faire tomber à cet instant essentiel le mur du matérialisme
dressé par ceux qui ne voient la « bonne mort » que la mort
volontairement donnée. Si des paroles peuvent se révéler justes elles seront
celles qui inviteront le malade à regarder sa vie sans regret stérile mais
plutôt avec le sentiment qu’il peut encore réparer des accrocs qui ont laissé
chez les autres des plaies qu’il peut à ce moment-là fermer. Il ne faut ni
contraindre en faisant pression, ni empêcher de s’exprimer celui qui éprouve le
besoin de parler en toute sincérité. Les derniers moments sont une étape qui
mérite plus que jamais son expression « la fin de la vie ».
Une fois que celui qui est sur le départ a accepté qu’il va partir, quand le silence est rompu, il faut toujours laisser ouvert le champ libre pour un échange de cœur à cœur qui pourra permettre d’ouvrir la voie à la parole sur des sujets fondamentaux autour desquels s’est construite la vie et en particulier la famille, les proches, ceux que l’on a entourés de son amour ou, le cas échéant, envers lesquels a été entretenu un manque que l’on souhaiterait combler avant qu’il ne soit trop tard. Il n’est pas rare que la souffrance de celui qui va partir soit motivée pas la douleur qu’il ressent de la souffrance qu’il va, involontairement, imposer à ceux qu’il aime sans avoir eu le temps de se réconcilier. La réconciliation, le désir d’union ou de ré-union à distance des brisures du passé prend souvent dans les derniers instants une force qu’il faut savoir soutenir et accompagner. Ce qui peut ajouter à la souffrance c’est l’impossibilité d’effacer les traces d’un passé parfois douloureux, de conflits non éteints. Sans penser qu’il sera possible de tout effacer, au moins le pardon accordé pourra-t-il permettre d’accéder à une fin de vie plus sereine. On peut demander au malade s’il souhaite s’adresser, par notre intermédiaire à ceux qu’il aurait pu faire souffrir, sans entretenir la culpabilisation.
Il peut être utile de réveiller le souvenir de moments
heureux passés en famille, entre amis, d’actions positives, de réalisations qui
ont apporté du bonheur à autrui, un ultime moment de contemplation devant ce que
celui qui va partir a construit et qu’il laissera en héritage.
Si la personne est ouverte à la dimension spirituelle de son existence et en respectant ses convictions, il sera possible de parler du sens de la vie. Il suffit d’ouvrir cette porte, de l’aider à l’ouvrir, sans contrainte. Il n’est pas nécessaire de recourir aux discours classiques sur la valeur de la souffrance. Si certaines expressions sont bien connues comme la valeur rédemptrice de la souffrance, il vaut mieux les laisser dans les pages que tant de grands prédicateurs nous ont laissées. Cette belle littérature n’est pas écrite pour le malade en fin de vie, pour l’accompagnement au lit du malade.
Le cardinal Veuillot en fin de vie nous a laissé son
témoignage : « Nous savons faire de belles phrases sur la souffrance.
Moi-même j’en ai parlé avec chaleur. Dites aux prêtres de n’en rien dire ; nous
ignorons ce qu’elle est, et j’en ai pleuré. »
Si le malade
en fin de vie ouvre la porte de son intimité spirituelle qu’il suffise
d’évoquer le grand silence qui s’est étendu sur le Golgotha après que Jésus
s’est adressé à sa mère et à saint Jean « Voici ton fils… Voici ta
mère »… juste avant de lancer sa dernière parole : « Consummatum
est ! ».
Une lecture, une musique que la personne aime pourront adoucir les moments qui vont l’emporter dans l’au-delà qu’il ne connaît pas mais qu’il pressent, sans laisser du temps à l’installation de pensées pessimistes et moins encore d’anéantissement devant cet inconnu qu’il n’est pas pertinent de représenter comme un vide absolu.
Le 2 janvier 2023, Raphaël
Enthoven, philosophe, conjointement avec Pierre Juston, juriste et délégué de
l’ADMD, ont répondu à l’essayiste Erwan Le Morhedec qui « dans la
tribune publiée dans FigaroVox les accusait de discréditer la parole des
chrétiens dans le débat sur la fin de vie »[1].
Je retiens cette
invective sans nuance : « La « rare agressivité » qui touche tant
Monsieur Le Morhedec est celle de concitoyens qui, s’étant arrachés au prix du
sang à la tutelle de l’Église depuis plus d’un siècle, ne souhaitent pas que
les représentants de ce qui n’est désormais qu’une association civile et privée
se prennent à nouveau pour des législateurs. On peut le comprendre. »
Je ne sais pas à
quoi ils font allusion par ces mots « s’étant arrachés au prix du sang à
la tutelle de l’Église »… Peut-être veulent-ils rappeler le sang versé
pendant la terreur en oubliant qui étaient les victimes ?
Qu’il me soit permis
de répondre en ma modeste qualité de médecin spécialiste, partageant sans
réserve, et sans me reconnaître dans la « rare agressivité » qu’ils
ont voulu déceler, la position d’Erwan Le Morhedec. Mais dans ma réponse je
tiens à en rester à me présenter avant tout comme membre actif de « l’association
civile et privée » qui, pour certains s’appelle aussi l’Église catholique.
Messieurs,
Vous avez ouvert des
hostilités mais vous vous trompez de guerre : ce faisant vous avez rendu
impossible le dialogue sur la fin de vie parce que vous l’avez pris en otage et
réduit à celui, inconciliable par essence, entre d’un côté les philosophes et
les militants qui veulent une législation favorable au droit à mourir, sans
avoir à passer par la case meurtre programmé avec ses conséquences juridiques
et pénales.
Vous faites des « droits » dont nous
disposons le seul critère de la liberté. Dont acte, mais si je suis bien
d’accord avec vous sur la notion de liberté garantie par la loi, il n’en reste
pas moins que nous ne partageons pas les mêmes références anthropologiques
concernant la définition de la liberté. Je le conçois bien dans le contexte des
convictions que vous assumez mais qui sont incompatibles avec celles de la
« minorité vindicative » à qui vous contestez la position, ce que
vous appelez avec un certain mépris, d’exercer un « magistère moral »,
à vos yeux insupportable. Mais, sur ce point il est évident qu’aucun pont n’est
possible pour se rencontrer dans un dialogue serein.
Malgré le défi que vous
lancez, permettez-moi de vous répondre, sans fair preuve de la « rare
agressivité » que vous taclez.
Vous écrivez : « Réduire
le souhait de mourir au manque de soins palliatifs, à l’insuffisance des
structures d’accueil ou bien au défaut de personnel, et considérer, par
conséquent, qu’il suffirait de remédier à tout cela pour qu’aucun malade,
jamais, n’exprime le souhait d’avancer l’heure de sa mort, c’est confondre
l’explication et l’excuse. »
La réduction que nous
ferions du « souhait de mourir au manque de soins palliatifs »
est un mauvais procès que vous faites à tous ceux qui s’emploient,
professionnels de santé et bénévoles, à accompagner les malades en fin de vie.
Venons-en à votre
raisonnement en trois points et à vos arguments qui condamnent la position de
ceux qui contestent le droit de pouvoir librement désirer mettre un terme à ses
jours ou tout simplement que cela devienne un droit.
« …il arrive, hélas,
que ce ne soit pas le défaut de soins palliatifs qui pousse les gens à vouloir
mourir, mais la maladie elle-même. »
Vous avez raison et je partage vos arguments émis sous la forme d’un catalogue des situations devant lesquelles le médecin – et je parle d’expérience et en mon nom propre – est impuissant quand, comme vous le dîtes justement, « être prisonnier de son corps n’est pas soluble dans la morphine ». Sans prolonger inutilement le discours autour des soins palliatifs qui ne se résument pas à plonger un malade dans une quasi-inconscience que peuvent provoquer les morphiniques, non, je ne garde pas les clefs de la cellule de celui que vous appelez un prisonnier. Je sais que je suis là, même toujours impuissant quand arrive la fin de la vie, même si je sais si maladroitement accompagner celui qui va partir, qui est arrivé au terme du chemin. Je ne suis pas un héros et lui non plus s’il refuse le poison mortel mais j’essaie d’« être là »[2], pour l’aider jusqu’au bout à ouvrir la porte parce qu’il sait que la mort est là. Il sait et il l’accepte sans la vouloir. Quant à vous, vous avez opté, selon vous, pour l’ultime liberté. Vous anticipez l’heure, avec de bons sentiments mais, pardonnez-moi de le dire, non sans brutalité en ouvrant la porte de sortie… sur une voie sans issue.
« Réduire le
souhait de mourir au manque de soins palliatifs… c’est faire comme si une
décision était réductible à l’ensemble des déterminations qui la
précèdent. »
Et de recourir à la
rhétorique ronflante : « la souveraineté et la responsabilité d’une
décision, quelle qu’elle soit, ne sont pas solubles dans les causes qu’on lui
trouve ». Je crois avoir bien compris le fil directeur de votre
discours, comme, d’ailleurs celui qui se tisse non sans qualité, dans les
cénacles militants pour le Droit à Mourir dans la Dignité :
« Liberté, liberté chérie ». Permettez-moi de poser une
question : la vraie vie de ses origines à son terme se résume-t-elle à
dire « je » et à s’arrêter là, sans savoir que l’on peut aussi dire
« tu » et « nous » ? Et vous ne me ferez pas croire
qu’en fin de vie il ne reste que le « je » parce que malgré tout,
vous avez abandonné à leur solitude ceux qui, c’est ma conviction, n’ont pas
renoncé à quitter, malgré cette ultime liberté, ceux à qui ils disent encore
« vous m’aimez et je vous aime »… Oui, sans doute « vous êtes
là » mais pas avec les mêmes moyens, pas avec les mêmes raisons, ni même
avec les sentiments.
« Enfin,
vous opposez « soins palliatifs » et « aide à mourir », alors que les
deux vont la main dans la main. »
Involontairement, vous m’offrez un boulevard pour la
dernière réponse. Nous n’opposons pas les « soins palliatifs » et
l’« aide à mourir ». Oui elles vont main dans la mais ce n’est pas la
même main, celle qui tient jusqu’au bout celle de celui qui s’en va, et celle
qui, même avec des bon sentiments, précipite dans l’au-delà celui qui veut
partir simplement parce qu’il en a ainsi décidé.
Sans doute partageons-nous un certain nombre de
convictions sur la nécessité de promouvoir et de développer les soins
palliatifs. Et vous appuyez non sans grandeur sur des mots justes : « mettre
un terme aux souffrances, prendre tous les moyens de les apaiser, un véritable
plan de financement des soins palliatifs ». Nous en sommes bien
d’accord, mais et en allant au-delà de la vanité d’un combat inutile, de cette
« guerre de trop », je ne vous suivrai pas, sans chercher à vous
convaincre par les mots ni par les sentiments, pour réclamer l’ultime liberté qui
s’arrêtera une fois la porte franchie et quand celui qui l’aura ouverte devant
celui qui s’en va, repartira, comme si de rien n’était. Vous n’avez pas cette
conviction, je le sais, mais quant à moi il n’y a pas d’ultime liberté. Vous
avez cité Lacordaire : « Entre le fort et le faible, entre le riche et le
pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi
qui affranchit ». Vous connaissez sans doute, j’en suis aussi convaincu, la
source qui le guidait : « la Vérité vous rendra libre ».
[2]« Être là » : L’ASP
fondatrice (Accompagner en Soins Palliatifs) et 42
associations d’accompagnement bénévole en soins palliatifs ont fondé Être-là,
nouveau mouvement national des ASP, le 5 octobre 2021
Bras droit de saint Jean-Paul II, Joseph Ratzinger était présenté dans les
médias comme « Panzerkardinal ».
Un terme plutôt caricatural pour signifier sans délicatesse et ses origines
allemandes et la charge qu’il exerçait comme Préfet du Dicastère pour la
Doctrine de la Foi.
Il est de tradition qu’à la disparition d’un personnage connu on dresse de
lui un portrait qui sans prétendre à l’exactitude le définit devant l’histoire.
Quelle image le monde
contemporain gardera-t-il de Benoît XVI ?
La
richesse de la personnalité de Joseph Ratzinger qui s’est prolongée pendant les
années du pontificat de Benoît XVI n’échappe à personne, quelle que soit ses
convictions.
Les
visages qui se présentent à nous après sa disparition sont
multiples : intellectuel, penseur,
théologien, pasteur, mélomane et pianiste…
Autant
de visages qui sont le reflet avant tout d’un homme qui nous impressionne par
l’étendue de ses connaissances et la profondeur de sa réflexion qui s’est
traduite par de nombreuses publications avant et pendant son pontificat[1].
Mais,
au risque de la réitération, ce sont les visages d’un homme que nous avons
suivi, peut-être accompagné par la prière, pendant les dernières années et
notamment après qu’il eut renoncé à la charge, devenue trop lourde pour ses
épaules, de successeur de Pierre.
Un
homme d’une stature peu commune et d’une simplicité qu’ont confirmée tous ceux
qui ont travaillé à ses côtés ou qui l’ont rencontré : des ecclésiastiques
dont plusieurs papes, des hommes politiques, des intellectuels, des artistes, …
« Le choix de Joseph Ratzinger comme pontife suprême s’explique par
des considérations qui tiennent aussi bien à sa personnalité qu’à l’ampleur des
défis auxquels est exposée l’Église catholique. Ainsi, on s’est refusé à
souscrire aux jugements sommaires qui tendaient à le présenter comme un
Bavarois obtus, un grand inquisiteur, un prince de l’Église attaché à ses
privilèges, un nostalgique de l’Église préconciliaire et un théologien
réactionnaire. En revanche, on a été sensible à ses qualités humaines et
intellectuelles : une vaste culture philosophique et littéraire, des
connaissances encyclopédiques en théologie, sa maîtrise des langues étrangères,
la clarté de son propos et son sens des nuances dans l’exposé de la doctrine
chrétienne. »
Ainsi
le définit Jean Klein en 2007 dans les premières années de son pontificat[2].
Lors
de sa renonciation en 2013, le monde a été, le mot est faible, sous le choc. Et
on pouvait lire sous la plume de Solange Bied-Charreton, dans le Monde du 2
mars 2013 sous le titre provocateur « Je veux un pape ringard » [3]
un article dont le seul titre disait tout ce que les médias pensait de Benoît
XVI.
Alors,
pour revenir au bilan de Joseph Ratzinger-Benoît XVI-Pape émérite, que gardera
le monde contemporain de celui qui vient de nous quitter après plusieurs années
dans la solitude où il avait voulu se retirer au Vatican pour prier ?
J’avais répondu à S. Bied-Charreton qui appelait de ses vœux « un pape ringard » pour lui succéder alors qu’elle écrivait en 2013 l’article sus-cité : « Dans la joie ou dans la tristesse, tous l’ont bel et bien enterré. Et pourtant Joseph Ratzinger respire encore ! ». Ma réponse était rédigée dans un langage que j’ai voulu à la hauteur de sa provocation, et sans irrespect mais au contraire pour exprimer combien je suis reconnaissant à Benoît XVI d’avoir incarné ce que nous attendons tous d’un pape moderne et qu’il a été pour le plus grand bien de l’Église j’avais écrit : « Je veux …
« Un pape Fashion » : pas au sens
habituel du terme, question style vestimentaire, mais un pape qui tient sa
place dans le paysage médiatique autrement que comme une icône de magazine
people, parce qu’il a des choses vraies et vitales à nous dire sur la foi
et sur la morale.
« Un pape qui
sorte des clous de temps en temps » : non par souci d’originalité et
de ne pas faire comme tout le monde, mais parce qu’il est le représentant
institué de celui au sujet duquel il avait été prédit à sa mère qu’il
serait « un signe de contradiction ».
« Un pape
hors-piste » : non pas parce qu’il déraille ou qu’il
dérape, mais parce qu’il a le devoir de ne pas suivre le consensus mou de
l’évolution naturelle en pente descendante vertigineuse de la société en
manque de repères.
« Un pape
« Rallye-Dakar » » : qui n’a pas peur de l’aventure,
sans courir l’aventure pour l’épate, parce qu’il sait bien que sa fonction
est de marcher en tête, en tenant bien en main la Croix qu’il reçoit en
héritage de son maître, comme l’insigne de sa charge et obéissant au
mandat de la porter pour le suivre.
« Un pape version
tempête apaisée plutôt que radeau de la Méduse » : parce qu’il
est à la barre de la barque de Pierre et qu’il a pour mission d’aller au
large, malgré les tempêtes.
« Un pape
« Vendée-Globe » » : qui ne craint pas d’affronter les
40° rugissants qui se déchaînent chaque fois qu’il prononce une
parole qui va à contre-courant du tout-prêt-à-penser dans les domaines
tellement sensibles de la foi et de la morale.
« Un pape qui
siffle la fin de la récré » : maintenant tout le monde rentre à
la maison et plus question de réinventer et de faire des expériences pour
voir si ça marche mieux sous prétexte que les méthodes d’avant c’est plus
« fashionable ».
« Pas un pape
« pot-de-fleurs-parce-que-c’est-décoratif » : un pape qu’on
invite pour les grandes occasions parce que ça fait bien sur la photo dans
les archives historiques.
« Pas un pape langue
de bois » : un pape qui parle haut et fort, qui nous
fixe des exigences et des objectifs élevés à la mesure de la mission qui a
été celle de l’Eglise de toujours, depuis le premier jour, avec les
premiers chrétiens dont beaucoup furent des martyrs, et jusqu’à aujourd’hui.
« Pas un pape
G.O. » : qui fait « gouzi-gouzi » pour déplaire à personne.
« Pas un pape
qu’on laisse jouer au pape » : parce que c’est une figure
incontournable et qu’on ne peut plus s’en passer même si on ne
l’écoute plus.
« Pas un pape qu’on n’autorise
pas à parler des droits de l’homme » : parce que la meilleure façon de servir les
droits de l’homme c’est d’affirmer et de respecter les droits de Dieu.
Nous voulons un pape qui marche devant
nous, un pape qui prie, un pape qui nous ouvre le chemin, un pape qui n’a pas
peur d’aller à rebours des modes qui passent, parce que c’est la mission que
lui a confiée Jésus-Christ : « Tu es Pierre et sur cette pierre je
bâtirai mon Église ».
Une immense reconnaissance
à Benoît XVI qui a été le pont dont l’Église avait besoin pour prendre le bâton
de relais qu’avait laissé Jean-Paul II et le transmettre à son successeur, le
pape François.
D’année
en année le message Urbi et Orbi du pape, – … à la ville de Rome et au monde -,
à l’occasion de Noël nous emmène « en voyage ».
Non,
le Pape n’est pas à la tête d’une nouvelle agence de voyages !
Il
nous conduit sur le parcours douloureux des pays où Noël n’a pas partout la
même signification.
Depuis
des semaines les vitrines, les rues des villes et des villages, s’illuminent,
en dépit des possibles restrictions qui s’imposent dans cette période de pénurie
énergétique réelle ou potentielle.
L’Ukraine
en conflit avec la Russie, le Moyen-Orient : la Terre Sainte, le Liban, la
Syrie, et aussi l’Afghanistan, la Corne de l’Afrique, … Et j’ajoute Artsakh
dans le Haut-Karabakh où 120 000 Arméniens luttent pour leur survie et celle de
quelques 30 000 de leurs enfants.
Plus
de deux cents intellectuels , des écrivains, des artistes, des personnalités du
monde de la culture se mobilisent en signant un appel à leur intention et pour
sensibiliser le reste du monde face au risque d’une épuration ethnique qui se
profile.
Et
pendant ce temps Noël nous a rappelé, première lecture de la Messe de
minuit : « Oui, un enfant nous est né,
un fils nous a été donné ! Sur son épaule est le signe du pouvoir ; son nom est
proclamé : « Conseiller-merveilleux, Dieu-Fort, Père-à-jamais,
Prince-de-la-Paix ».
Ce
verset est extrait du livre d’Isaïe (9, 5). Il s’inscrit dans le contexte de
l’histoire : la montée en puissance de l’Assyrie au VIIIe siècle avant
Jésus-Christ. En 1947, parmi les manuscrits de la mer Morte, à Qumran, seul le
Livre d’Isaïe a été retrouvé dans son intégralité sous la forme d’un manuscrit
du IIe siècle av. J.-C. : le Grand Rouleau d’Isaïe.
Sans
entrer dans le détail il est aussi interprété comme la prophétie qui annonce
l’évènement que nous venons de célébrer le 25 décembre.
Est-il
facile ? Pure rhétorique ? Étalage d’une science que je ne maîtrise
pas, l’exégèse ? … d’écrire ces quelques mots entre deux dates
emblématiques ?
Rien
de tout cela. Tous simplement l’occasion d’un constat devant l’histoire qui
déroule son imperturbable chronologie d’année en année, de siècle en siècle.
Je
laisse aux historiens le soin de lire et d’écrire l’histoire avec leur méthode
qui est celle d’une science.
Pour
ma part en 2022 j’observe que si les circonstances d’aujourd’hui ne
s’inscrivent pas comme nous renvoyant par un flash-back sur un scénario écrit
d’avance, ni comme la réalisation d’une prophétie qui se répèterait avec
l’insistance d’un rappel à l’ordre pour nous dire que nous sommes sourds, Noël
est toujours un message, le même message, le seul message.
« Vous avez le droit d’exiger qu’on vous montre la Crèche. La voici.La Vierge est pâle et elle regarde l’enfant. Ce qu’il faudrait peindre sur son visage, c’est un émerveillement anxieux, qui n’apparut qu’une seule fois sur une figure humaine, car le Christ est son enfant, la chair de sa chair et le fruit de ses entrailles. Elle l’a porté neuf mois. …
Et Joseph. Joseph ? Je ne le
peindrais pas. Je ne montrerais qu’une ombre au fond de la grange et aux yeux
brillants, car je ne sais que dire de Joseph. Et Joseph ne sait que dire de
lui-même. Il adore et il est heureux d’adorer. »
Non je n’ai pas composé moi-même ces quelques lignes. Nous sommes en 1940, dans un camp de prisonniers français en Allemagne. Des prêtres prisonniers demandent à un autre prisonnier qui partage avec eux la condition de la détention dans ce camp, de rédiger un petit texte, (une méditation ?) pour la veillée de Noël. Cet autre prisonnier s’appelle Jean Paul Sartre…
Ce
texte est dérangeant pour les amis de Jean Paul Sartre. Simone de Beauvoir
réfutera avec vigueur l’origine de ce texte. Mais l’auteur lui-même confirmera
en être l’auteur en rédigeant en 1962 la note suivante : « Si j’ai pris mon
sujet dans la mythologie du Christianisme, cela ne signifie pas que la
direction de ma pensée ait changé, fût-ce un moment pendant la captivité. Il
s’agissait simplement, d’accord avec les prêtres prisonniers, de trouver un
sujet qui pût réaliser, ce soir de Noël, l’union la plus large des chrétiens et
des incroyants ».
1223, nous sommes cette fois à Greccio, une ville d’Italie avec saint François d’Assise. Il dit à l’un de ses amis, qui avait mis à la disposition des frères une grotte dans la montagne : « Je veux célébrer Noël avec toi, cette année, dans la grotte. Tu y installeras une mangeoire pleine de foin. Fais venir un bœuf et un âne. Il faut que cela ressemble à la crèche où est né Jésus ». C’est l’histoire de cette tradition.
« Et tous allaient se faire recenser, chacun dans sa ville. Joseph aussi monta de Galilée, de la ville de Nazareth vers la Judée, vers la ville de David qui s’appelle Bethléem parce qu’il était de la maison et de la famille de David pour se faire inscrire avec Marie, sa fiancée, qui était enceinte. Or, comme ils étaient là, furent accomplis les jours où elle devait enfanter. Et elle mit au monde son fils, le premier-né et elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans l’hôtellerie. » Luc 2, 3-7
« Nous
sommes dans un district rural de la province de
Quang Tri au Viêt Nam. Les paroissiens de
l’ethnie Van Kieu célèbrent la Nativité malgré les restrictions des autorités
locales, qui interdisent les crèches et les décorations de Noël aux villageois
indigènes des environs.
Selon les habitants, les autorités
locales les forcent à rester fidèles à l’ancien président Hô Chi Minh,
fondateur du Parti communiste vietnamien. Dans le passé, on leur a même demandé
d’accrocher son portrait chez eux. En 2019, une famille de villageois a décidé
malgré tout de faire une crèche et d’accrocher une lanterne en forme d’étoile
devant chez eux. Toutefois, de retour de la veillée de Noël où ils s’étaient
rendus dans l’église de Ba Long, située à 15 km de chez eux, ils ont
retrouvé la crèche détruite. »
Des
faits qui, bien que se déroulant loin de chez nous, ne sont pas sans rappeler
une bataille d’un autre âge que nous connaissons parfois aussi en France :
la « bataille culturelle » des crèches ?
Peut-on
se limiter à réduire la crèche à un symbole, à un « fait culturel »,
une « tradition culturelle » comme une autre…
Si ce
« trait culturel » a franchi les frontières et s’est inscrit dans
d’autres cultures… sans les défigurer, c’est qu’il n’est pas seulement un
« trait culturel ».
La
crèche plonge ses racines dans un évènement de l’histoire qui est, sans doute,
devenu un symbole que certains voudraient exclure au nom d’une vision étroite
de la laïcité. Dans sa simplicité elle exprime sa propre histoire, celle d’un
évènement qui s’est déroulé dans l’anonymat le plus total il y a 2000 ans mais
qui, comme tant d’autres, ne serait resté que comme une date, noyée dans le
cours des évènements de l’histoire s’il n’était autre chose qu’un
« symbole ».
Pourquoi
cet évènement reste-t-il un marqueur pour ceux qui le célèbrent comme pour ceux
qui veulent le faire oublier…
Pour
ceux qui de temps à autre ouvrent une bible, ils liront dans le prologue de
l’Évangile de saint Jean ce verset : « Et le Verbe s’est fait chair… » Jean 1, 14.
Toute la foi
catholique tient dans le texte du Credo et ce verset en est comme le cœur qui
conditionne toute la suite jusqu’à « il est ressuscité des morts ».
Alors un symbole ? Oui c’est ainsi qu’on appelle aussi le Credo : le Symbole des apôtres.
« Dès le commencement, mon Église a été ce qu’elle est encore, ce qu’elle sera jusqu’au dernier jour, le scandale des esprits forts, la déception des esprits faibles, l’épreuve et la consolation des âmes intérieures, qui n’y cherchent que moi. Oui, frère Martin, qui m’y cherche m’y trouve, mais il faut m’y trouver, et j’y suis mieux caché qu’on le pense, ou que certains de mes prêtres prétendent vous le faire croire – plus difficile encore à découvrir que dans la petite étable de Bethléem, pour ceux qui ne vont pas humblement vers moi, derrière les Mages et les Bergers.Car c’est vrai qu’on m’a construit des palais, avec des galeries et des péristyles sans nombre, magnifiquement éclairés jour et nuit, peuplés de gardes et de sentinelles, mais pour me trouver là, comme sur la vieille route de Judée, ensevelie sous la neige, le plus malin n’a encore qu’à me demander ce qui lui est seulement nécessaire : une étoile et un cœur pur. »« Martin Luther », 1943, Georges Bernanos
Joyeux Noël et avec mes souhaits d’une nouvelle et belle année
2023.
Une tribune d’étudiants des IEP. En elle-même elle sera déjà suspecte d’avoir choisi son camp mais quand même…
Extraits
« L’objectif ici n’est pas de nous poser en victimes mais bien d’alerter nos concitoyens et nos dirigeants sur les dérives des IEP français qui, ne l’oublions pas, ont vocation à former nos futures élites intellectuelles, politiques et économiques. »… /…
« Ce progressisme dévoyé et la connivence des acteurs institutionnels qui le choient sont alimentés par les plus grands maux de notre époque: la peur d’être rejeté et la paresse intellectuelle d’une part, la mégalomanie et la victimisation d’autre part. Ce besoin qu’ont les nouveaux censeurs de détenir la vérité, et de justifier leurs échecs personnels par des oppressions présumées du «système», vient légitimer qu’on inflige une correction sociale, voire physique, aux mauvais. »…/…
« Ce petit monde terrorise nos administrations et les enjoint à annuler les conférences sous peine d’opprobre public. »…/…« Nos directions, terrifiées et obsédées par l’image publique de leurs établissements respectifs, cèdent souvent, affichant sans aucune honte leur refus de recevoir des pseudo-fascistes dans leurs instituts. Plus subtile, la condescendance inhérente à cette communauté, où les pairs épousent l’onanisme intellectuel, rejette plus volontiers encore ceux qui ne sont pas de leur monde. »
Je lis ce matin sous la plume de Luc Ferry (Le Figaro, Jeudi 6 janvier 2022 – Opinions) :
« L’universalisme républicain n’est qu’un héritage du christianisme comme l’avait vu Tocqueville, dans un passage de La Démocratie en Amérique, en parlant de la grande Déclaration des droits de l’homme de 1789 : « C’est nous, les Européens, écrivait-il, qui avons donné un sens déterminé et pratique à cette idée chrétienne que tous les hommes naissent égaux et qui l’avons appliquée aux faits de ce monde. C’est nous qui, en détruisant dans tout le monde le principe des castes, des classes (…), en répandant dans tout l’univers la notion de l’égalité des hommes devant la loi, comme le christianisme avait créé l’idée de l’égalité de tous les hommes devant Dieu, je dis que c’est nous qui sommes les véritables auteurs de l’abolition de l’esclavage. »
J’extrais cette citation d’un article qui se veut un hommage à tous ceux qui depuis que la pandémie a mis le feu à toute la planète a aussi contribué à la destruction du tissu social. Et Luc Ferry de conclure : « Belle méditation, qui établit, avec beaucoup de finesse et de profondeur, une filiation entre l’idée républicaine dans ce qu’elle a de plus laïque et l’héritage chrétien dans ce qu’il a de plus humaniste : l’égalité des créatures devant Dieu, transposée en égalité des citoyens devant la loi, n’est au fond qu’une sécularisation réussie de la parabole du bon Samaritain : comme elle, elle ouvre la compassion pour le prochain à un universalisme qui fait abstraction des appartenances communautaires pour étendre le principe de fraternité à l’humanité tout entière. Qu’hommage soit ici rendu aux bons Samaritains d’aujourd’hui, qu’ils soient chrétiens ou non ! »…
Et si c’était aussi l’occasion de rappeler que « l’héritage chrétien » n’a jamais été en contradiction avec les principes de « l’idée républicaine dans ce qu’elle a de plus laïque » ? Alors on en aurait peut-être fini des interminables querelles qui finissent par miner les plus belles énergies en même temps qu’elles entretiennent la suspicion, le rejet … qui sont le terreau de la haine.
Juste une remarque : Luc Ferry affirme : C’est nous qui, en détruisant dans tout le monde le principe des castes, des classes (…), en répandant dans tout l’univers la notion de l’égalité des hommes devant la loi, comme le christianisme avait créé l’idée de l’égalité de tous les hommes devant Dieu, je dis que c’est nous qui sommes les véritables auteurs de l’abolition de l’esclavage. »
Il insiste sur cette idée que « nous sommes les véritables auteurs de l’abolition de l’esclavage ». Il oublie que c’est « nous » aussi qui l’avons introduit et avec lui « le principe des castes, des classes (…). Ce n’est pas le christianisme qui a « créé l’idée de l’égalité de tous les hommes devant Dieu »… Le christianisme n’est le christianisme que si on veut bien comprendre que c’est Jésus-Christ son socle, sa référence, sa racine et qu’il n’y a pas de solution de continuité essentielle ni existentielle entre Dieu et Jésus-Christ. Alors si un hommage doit être rendu « aux bons samaritains, chrétiens ou non », il est juste aussi de ne pas déconnecter « l’héritage chrétien » de sa vraie source « l’égalité des créatures devant Dieu » qui n’est que secondairement « transposée en égalité des citoyens ».
Un ami m’a adressé à l’occasion de Noël le lien d’une émission diffusée sur France Culture intitulée : « Du soleil invaincu au petit Jésus ». Elle a été diffusée le 24 décembre 2011 dans le contexte de l’émission de l’époque « On ne parle pas la bouche pleine » https://www.franceculture.fr/…/du-soleil-invaincu-au… Le journaliste interrogeait un historien médiéviste André Vauchez. L’émission se voulait un survol historique autour de la date du 25 décembre pour situer chronologiquement la fête chrétienne de Noël. Je ne vais pas faire ici ni le résumé de l’émission ni même en faire une analyse critique. L’ami qui m’envoyait le lien n’avait pas d’autre intention que de me faire remarquer que la date du 25 décembre est pour lui celle du « Sol invictus », autrement dit celle du « soleil invaincu », le solstice d’hiver. Quand j’écris « pour lui » je veux dire que pour lui la fête chrétienne de Noël est une « invention » qui ne repose sur aucune vérité historique. … Qui n’en conviendrait ? Quand Jésus est né il n’y avait pas de registre d’état civil où on inscrivait les naissances… Tout ceci n’est qu’anecdotique et, pour le dire un peu brutalement, sans grand intérêt. Parce que Noël que l’on voudrait voir disparaître comme référence pour ne pas heurter la conscience de tous ceux qui ne partagent pas les convictions chrétiennes, c’est tout autre chose qu’une date sur un calendrier.Et pour parler franchement si le 25 décembre n’est plus qu’un jour comme les autres, qu’il a perdu son sens, alors effectivement pourquoi garder ce mot « Noël ». Au fait c’est quoi, Noël ?
Je donne la parole à … Arthur Rimbaud ! Il ne parle pas de Noël mais de Jésus à Nazareth :
En ce temps-là, Jésus habitait Nazareth. L’enfant croissait en vertu comme il croissait en âge. Un matin, quand les toits du village se mirent à rosir, il sortit de son lit alors que tout était en proie au sommeil, pour que Joseph, en se levant, trouvât le travail terminé. Déjà penché sur l’ouvrage commencé, et le visage serein, poussant et retirant une grande scie, il coupait maintes planches de son bras d’enfant. Au loin apparaissait le soleil brillant, sur les hautes montagnes, et son rayon d’argent entrait par les humbles fenêtres… Voici que les bouviers mènent aux pâturages leurs troupeaux ; ils admirent à l’envi, en passant, le jeune ouvrier et les bruits du travail matinal. « Qui est cet enfant ? disent-ils. Son visage montre une beauté mêlée de gravité ; la force jaillit de son bras. « Ce jeune ouvrier travaille le cèdre avec art, comme un ouvrier consommé; et jadis Hiram ne travaillait pas avec plus d’ardeur quand en présence de Salomon, il coupait de ses mains habiles et robustes les grands cèdres et les poutres du temple. « Pourtant le corps de cet enfant se courbe plus souple qu’un frêle roseau; et sa hanche, droite, atteindrait son épaule. » Or sa mère, entendant grincer la lame de la scie, avait quitté son lit et, entrant doucement, en silence, elle aperçoit, inquiète, l’enfant peinant dur et manœuvrant de grandes planches… Les lèvres serrées, elle regardait; et, tandis qu’elle l’embrasse d’un regard tranquille, des paroles inarticulées tremblaient sur ses lèvres. Le rire brillait dans ses larmes… Mais tout à coup la scie se brise et blesse les doigts de l’enfant qui ne s’y attendait pas. Sa robe blanche est tachée d’un sang pourpre, un léger cri sort de sa bouche… Apercevant sa mère, il cache ses doigts rougis sous son vêtement; et, faisant semblant de sourire, il lui dit : « Bonjour, mère ! » Mais celle-ci, se jetant aux genoux de son fils, caressait, hélas! de ses doigts, les doigts de l’enfant et baisait ses tendres mains en gémissant fort et baignant son visage de grosses larmes. Mais l’enfant, sans s’émouvoir : « Pourquoi pleures-tu, mère qui ne sais pas ?… Parce que le bout de la scie tranchante a effleuré mon doigt ! Le temps n’est pas encore venu où il convienne que tu pleures. » Il reprit alors son ouvrage commencé ; et sa mère en silence et toute pâle, tourne son blanc visage à terre, réfléchissant beaucoup et, de nouveau, portant sur son fils ses yeux tristes : « Grand Dieu, que ta sainte volonté soit faite ! »
Arthur Rimbaud Traduction d’un poème en vers latins, composé par Rimbaud au Collège de Charleville, en 1870, à l’âge de 15 ans.
Et en miroir à ces mots d’Arthur Rimbaud ceux du cardinal africain, Robert Sarah : « Quand Dieu a décidé d’envoyer son Fils pour sauver le monde, la situation n’était pas brillante. C’est même pour cette raison qu’il a envoyé Jésus partager notre vie humaine, nos souffrances, nos espérances : il est venu humblement parce que Dieu est humble et qu’il nous aime. L’amour et l’humilité, c’est la même chose. La situation que nous vivons aujourd’hui ressemble à celle de Noël, quand le fils de Dieu est venu sur terre. Jésus est vraiment l’espérance du monde parce que seul et unique Sauveur. Il est la lumière du monde, le soleil vivant. Le soleil donne vie mais fait également croître l’humanité, les plantes. …/…Notre façon de l’accueillir, c’est d’ouvrir nos cœurs et ne pas le laisser dehors comme à Bethléem, où il n’y avait pas de place ni pour Marie, ni pour Joseph, ni pour lui. Nous ne devons pas imiter cette fermeture, mais nous ouvrir humblement… »
Et puisqu’il n’est pas question de parler du fils sans évoquer sa mère, ce poème bien connu de Paul Claudel récité par Madeleine Renaud en 1981 (une archive de l’INA du 24 décembre 1981) : Guy Béart pose cette question à Madeleine Renaud : « Madeleine, pour vous qui est Marie ? »… et elle répond (https://www.ina.fr/…/madeleine-renaud-dit-la-vierge-a……
La Vierge à midi
Il est midi. Je vois l’église ouverte. Il faut entrer.Mère de Jésus-Christ, je ne viens pas prier. Je n’ai rien à offrir et rien à demander. Je viens seulement, Mère, pour vous regarder…/…
Pour terminer sur un rythme très joyeux venu des Andes péruviennes
Allegro : Cachua a voz y bajo Al Nacimiento de Christo Nuestro Señor, [Tomo II, Estampa – E. 177] – Códice Trujillo del Perú o Martínez Compañón (S. XVIII). Intérpretes : Capilla de Indias – Directora : Tiziana Palmiero. Imágenes : Ciudad de Cajamarca – (Perú).
Dos Cachuas del Códice de Martínez CompañónTrujillo, 17891. Niño il mijor2. Dennos licencia señoresEl Códice del Obispo Baltasar Jaime Martínez Compañón « Trujillo del Perú » reúne en el tomo II diecinueve piezas recogidas en los territorios del obispado de Trujillo en 1789. Esta colección se publicó en 1946 con el título de « Folklore Musical del siglo XVIII » conteniendo la reproducción facsimilar de los manuscritos y la transcripción de las letras realizados por Rodolfo Holzmann, César Arróspide de la Flor y Rubén Vargas Ugarte. Es un códice de trascendencia para la música peruana porque documenta nuestras tempranas expresiones populares.Coro Nacional de Niños del Perú Director: Oswaldo Kuan
Noël c’est comme toujours chaque année, une porte qui s’ouvre sur un nouveau calendrier.… Belle année 2022
« La loi est claire : nous avons droit au blasphème, à critiquer, à caricaturer les religions. L’ordre républicain n’est pas l’ordre moral. Ce qui est interdit , c’est l’appel à la haine, l’atteinte à la dignité ». Emmanuel Macron, 12 février 2020.
Non monsieur Macron ! Il n’existe pas de droit au blasphème, si pour autant le droit à la liberté d’expression ne souffre d’aucune exception. Mais nous ne sommes pas dans le même contexte, comme votre prétention voudrait nous le faire croire. Vous êtes hors sujet ou, pour le dire plus trivialement, à côté de la plaque… mais ce n’est pas nouveau depuis que avez accédé à la magistrature suprême en France. En trois lignes vous mélangez tellement de notions importantes que votre propos ressort d’un vulgaire amalgame qui atteste un tragique manque de réflexion.
Et n’allez pas me répondre que je serais dans le camp de ceux qui aujourd’hui seront confrontés à Mila qui viendra au tribunal judiciaire de Paris. Si les réactions des 13 internautes sont d’une violence disproportionnée qui confine à un irrationnel absurde, la provocation des propos de Mila doit aussi être soulignée pour leur vulgarité. On trouvera sur http://kiosque.lefigaro.fr/…/77743845-5ddc-40fb-bb67… un échantillon de ses propos. N’attendez pas de moi que j’érige cette jeune fille en héroïne de la liberté d’expression. On entre là dans un marécage putride entretenu par le mauvais goût et l’indécence de ceux qui pensent qu’au nom de la liberté d’expression on peut… voire on a le droit ! de tout dire. Invoquer le « droit au blasphème » relève de la stupidité indigne de celui qui le réclame… quand de plus il souligne que l’interdit touche à l’atteinte à la dignité. Je ne sais pas ce qu’il considère comme une atteinte à la dignité. La caricature est une chose mais il serait juste que l’on reconnaisse qu’elle est génératrice d’un climat de haine de l’autre. Il suffit d’aller… -mais n’y allez pas tellement c’est ordurier- sur le site de Charlie Hebdo pour voir comment la caricature est un véhicule de la haine, du mépris, de l’exclusion, de la vulgarité extrême… et de la laideur.
Quand F. Dostoïevski, dans l’idiot fait dire au prince Mychkine, d’après son interlocuteur Hippolyte Terentiev : « Est-il vrai, prince, que vous avez dit un jour que la « beauté sauverait le monde » ? », on comprendra que ce n’est pas de Charlie Hebdo que le salut viendra ! Pour requalifier nombre de torchons suintant la haine publiés par Charlie Hebdo, (voir infra le développement de Christiane CHANET, Conseillère honoraire à la Cour de cassation, ancienne présidente du Comité des droits de l’homme des Nations unies, parue dans Libération). Enfin et avant de poursuivre, mais c’est tout un chapitre que Mr Macron n’a même pas abordé, il ne lui est même pas venu à l’esprit qu’il existe aussi un droit autrement plus important : le droit à la liberté de conscience que les lois qu’il promeut écornent de plus en plus. Sait-il même ce que veut dire « liberté de conscience » ?
« Il y a peu de notions juridiques qui soient aussi difficiles à définir que celle d’ordre public ». Il s’agit de l’ensemble des règles obligatoires qui touchent à l’organisation de la Nation, à l’économie, à la morale, à la santé, à la sécurité, à la paix publique, aux droits et aux libertés essentielles de chaque individu. Dans notre organisation judiciaire les magistrats du Ministère Public sont précisément chargés de veiller au respect de ces règles, ce pourquoi ils disposent d’un pouvoir d’initiative et d’intervention. Nul ne peut déroger aux règles de l’ordre public, sauf le cas des personnes auxquelles elles s’appliquent, si ces règles n’ont été prises que dans leur intérêt et pour leur seule protection. Consulter la définition de cette notion sur le site du Conseil Constitutionnel.
Quant à l’ordre moral : on en trouve la définition ajustée chez René Rémond : L’expression « ordre moral » dans son acception contemporaine trouve son origine au début de la IIIe République, au lendemain de la défaite de la France et de l’écrasement de la Commune de Paris. « L’Ordre moral est une coalition des droites qui se forme après les chutes successives de Napoléon III et du gouvernement républicain provisoire. C’est aussi le nom de la politique souhaitée par le gouvernement d’Albert de Broglie formé sous la présidence du maréchal de Mac-Mahon à partir du 27 mai 1873. » Et chaque fois qu’elle se verra en danger la République prendra des mesures répressives et elle le fera au nom de la défense de « l’ordre républicain ». De même que la gauche appellera à la constitution d’un « front républicain » réunissant toutes ses composantes chaque fois qu’elle estimera la République en danger. Sous couvert d’ordre républicain, on prendra des mesures qui s’apparentent à l’ordre moral.
Christiane CHANET, Conseillère honoraire à la Cour de cassation, ancienne présidente du Comité des droits de l’homme des Nations unies. « Qu’est-ce que le blasphème ? Selon l’étymologie gréco-latine, blasphème signifie faire injure à une réputation. L’évolution du terme depuis le XVIe siècle tend à se limiter à l’injure faite au fait religieux. Le blasphème est constitué par une parole, un discours, un écrit, alors que le sacrilège est un acte perpétré contre une religion. Quel droit régit le blasphème ? La Déclaration universelle des droits de l’homme, en son article 19, développé par l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, traité onusien contraignant ratifié par 168 Etats, consacre le principe de la liberté d’expression. Toutefois, cette liberté n’est pas absolue et peut comporter des restrictions. Celles-ci doivent avoir pour but soit de protéger la réputation des personnes soit d’obéir à des impératifs d’intérêt public. Ces restrictions n’incluent pas le blasphème, selon la position exprimée par le Comité des droits de l’homme de l’ONU, organe indépendant chargé de veiller à l’application du pacte et au respect de leurs obligations par les Etats parties. En dépit de cet obstacle juridique, nombreux sont les Etats qui sanctionnent le blasphème. Si, en Europe, cette répression est encore prévue dans certains textes constitutionnels ou législatifs de plusieurs pays, elle n’est plus appliquée. Quelques tentatives de poursuites récentes, notamment en Grèce, ont cédé devant les pressions de l’Union européenne. En revanche, la plupart des pays non laïcs d’Afrique du Nord, du Moyen-Orient et d’Asie répriment le blasphème : en Iran et au Pakistan il est puni de la peine de mort. Le cas de la jeune chrétienne Asia Bibi, condamnée à mort de ce chef au Pakistan, a ému les défenseurs des droits de l’homme.Conscients de cette distorsion entre le droit international et leur droit interne, plusieurs Etats, sous l’impulsion de l’Organisation de la coopération islamique, ont tenté d’obtenir au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, en 2011, une résolution qui reconnaîtrait l’interdiction de la diffamation religieuse. Cette tentative a échoué.Faut-il en conclure que toute attaque visant une religion jouit de l’impunité ? L’article 20.2 du pacte cité ci-dessus interdit l’appel à la haine religieuse, si celle-ci constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence. La législation française ne connaît pas le blasphème. Une disposition le réprimant figure encore dans les textes issus du Concordat régissant les religions catholique, protestante et israélite en Alsace-Moselle, mais elle est tombée en désuétude. En revanche, la législation française sanctionne de lourdes peines, y compris des peines d’emprisonnement, les injures et les provocations à la discrimination, à la haine, à la violence, à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de son appartenance ou sa non-appartenance à une religion déterminée. Ces faits peuvent résulter de propos, de discours ou d’écrits. Par ailleurs, l’apologie de crimes tels que les meurtres ou les actes de terrorisme sont également sanctionnés avec la même sévérité. On observera que la répression des injures et des provocations exige à la fois que les propos ou écrits constituent un appel, une exhortation à la discrimination, à la haine, à la violence et soit dirigé contre une ou plusieurs personnes. En conséquence, la loi ne protège pas la religion elle-même ni ses attributs contre des critiques qui en France relèvent du débat d’idées. En revanche, l’apologie du crime est réprimée en soi, sans que des personnes soient visées en particulier. Ceci explique pourquoi on peut poursuivre la formule « me sens Charlie Coulibaly » (le polémiste Dieudonné est actuellement en procès pour l’avoir postée sur Facebook), et la poursuite serait la même contre quiconque dirait publiquement « Je suis Charlie Mesrine ». En conclusion, le droit international, et le droit français qui se situe dans la droite ligne de ce dernier, concilient de manière équilibrée la liberté d’expression et la nécessité de protéger les personnes de toute injure ou provocation à raison de sa religion : on peut heurter une sensibilité au nom de la liberté d’expression, mais on ne peut exhorter à discriminer ou à exercer des violences contre ceux qui adhèrent à une religion. »
Alors, non, Monsieur le Président de la République : le droit au blasphème n’existe pas !
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