30. janvier 2023 · 1 commentaire · Catégories: Calamus · Tags:

Toute les questions qui se posent en fin de vie à ceux qui sont appelés à « être là » -professionnels de santé, proches, bénévoles, …- peuvent se résumer à une seule : que dire ? Ou même seulement comment être ?

En effet il ne s’agit pas tant de « faire » ni même, d’abord de « dire ». Il faut tout simplement être là. C’est d’ailleurs sous cette appellation qu’ont choisi de se définir les structures fédérées sous l’égide de la SFAP, Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs.

Un constat s’impose d’emblée : il sera toujours impossible, et en dépit de la plus grande empathie, de prendre la place de celui qui aborde cette étape qui ouvre ce qu’il est convenu d’appeler « le grand passage », qu’il reste toujours aujourd’hui difficile d’appeler par son nom, la mort. Les discours très empathiques du style « je partage ce que tu souffres » tombent mal : en effet est-on conscient que la douleur ne se partage pas malgré toute l’empathie dont on voudrait faire preuve ?

Toutes les certitudes, toutes les assurances sur lesquelles on pouvait s’appuyer s’effondrent quand la vie ne se conjugue plus au futur mais qu’elle est déjà entrée dans l’histoire.

C’est le moment d’affronter la grande solitude, la seule et définitive solitude de celui qui s’en va et devant qui s’ouvre la porte qu’il ne fermera pas lui-même.

Il ne faut pas cacher ni se cacher l’hypothèse toujours possible de l’ultime angoisse. Elle est en embuscade sur le pas de la porte mais il reste encore une possibilité pour les proches de se tenir là pour prendre la main, pour accompagner car tout se résume dans ce seul mot mais qui pose une question essentielle : « comment bien accompagner ? ».

Celui qui est sur le départ sera peut-être disposé à parler de sa mort, alors pourquoi sans fausse prudence, sans esquive maladroite, ne pas saisir la perche tendue : il faut apprendre à prononcer le mot, entreprendre ce pas de deux que pourrait devenir le dialogue autour de la mort. On sait combien il est faux de faire semblant, de donner un espoir qui n’a plus de sens sans pour autant renoncer au sens le plus profond du mot espoir qui peut-être se convertira et nous convertira, c’est-à-dire nous tournera vers, en devenant une authentique espérance qui est aussi une vertu et pas seulement un état d’âme, une attente.

La mort

La langue française est riche de mots dont la signification s’articule comme un galaxie autour du mot mais le seul qui convient vraiment est celui de la vérité, de la sincérité : la mort. Nous allons tous vers ce moment que nous voyons toujours dans un avenir lointain, imprévisible et que quand tout va bien nous préférons tenir à distance. Alors brisons définitivement le tabou et acceptons de le dire : nous allons mourir et bien évidemment quand elle est là, non comme une ennemie ni comme une amie mais comme une compagne qui était déjà à nos côtés dès le premier instant, dès le premier cri : il faut apprendre à dire nous sommes mortels.

Et puisque nous pouvons accepter qu’elle nous tende la main, essayons de la prendre, sans la refuser parce qu’elle est aussi l’occasion de parler de sujets importants, de ce qu’a été notre vie, … sans s’arrêter à compter les jours, les mois les années…

Pour commencer, celui qui accompagne doit abandonner toute attitude qui, au fond, l’éloigne précisément de l’accompagnement : la plainte morbide qui exprime un désespoir tourné vers soi parce qu’on va, c’est indéniable, perdre un être qui nous est cher. Il faut sortir de l’orbite qui déplace le centre de gravité vers soi en même temps qu’il nous éloigne déjà, avant l’heure, de l’autre, de celui qui va partir, que nous abandonnons à sa solitude. Quand le moment s’approche il n’est pas question de laisser monter en première ligne nos propres sentiments, légitimes mais qui risquent de défaire prématurément un lien qui est toujours actuel. C’est l’instant de l’amour, de la tendresse, de la sérénité, de la paix intérieure, ce dont celui qui va partir a le plus besoin.

Le malade en fin de vie est d’abord un malade et la fin de vie un accident de la maladie, même s’il a quelque chose de révoltant. Il ne faut pas s’étonner qu’elle déstabilise et qu’on reste sans voix et surtout sans la voix qui apporte le réconfort.

Pourquoi ne pas donner au malade l’opportunité de parler de lui, de ce qui l’habite, en restant simplement présent pour écouter. A cette heure il se produit souvent, même si cela ne jaillit pas comme une source, le besoin de parler, d’exprimer peut-être des choses qu’il avait jusque-là laissées dans l’ombre et que la perspective de partir sans laisser de mémoire, lui suggère de dire, de confier. Alors laissons du temps au malade pour parler et surtout parler de lui-même s’il le souhaite. Il est plus important d’écouter que d’inonder la fin de vie sous un flot de paroles qui masquent la vérité d’une vie qui s’éteint. On pense à Job, seul sur son tas de souffrances dont les amis se tenaient là en silence.

De toutes les maladresses qui peuvent encombrer ce moment essentiel de la vie, la plus grande est peut-être de ne pas permettre à celui qui va nous quitter de s’exprimer, même si toute l’expression peut parfois se réduire à un long silence. Mais il est des silences plus éloquents que les plus beaux discours.

Les derniers instants peuvent aussi être l’occasion de confidences qu’il faut voir comme une porte toujours ouverte vers l’avenir : les ultimes confidences que le malade voudrait laisser comme un testament non écrit mais qui le projette déjà dans cet au-delà qu’il ne connaît pas mais qu’il peut préparer dans son cœur. Il ne faut pas briser le lien qui subsistera toujours et qui n’est pas rompu par la mort : le lien qui nous unit, même si nous ne savons pas bien comment, et qui ne sera jamais brisé même par la mort, le lien spirituel. C’est une occasion unique de faire tomber à cet instant essentiel le mur du matérialisme dressé par ceux qui ne voient la « bonne mort » que la mort volontairement donnée. Si des paroles peuvent se révéler justes elles seront celles qui inviteront le malade à regarder sa vie sans regret stérile mais plutôt avec le sentiment qu’il peut encore réparer des accrocs qui ont laissé chez les autres des plaies qu’il peut à ce moment-là fermer. Il ne faut ni contraindre en faisant pression, ni empêcher de s’exprimer celui qui éprouve le besoin de parler en toute sincérité. Les derniers moments sont une étape qui mérite plus que jamais son expression « la fin de la vie ».

Une fois que celui qui est sur le départ a accepté qu’il va partir, quand le silence est rompu, il faut toujours laisser ouvert le champ libre pour un échange de cœur à cœur qui pourra permettre d’ouvrir la voie à la parole sur des sujets fondamentaux autour desquels s’est construite la vie et en particulier la famille, les proches, ceux que l’on a entourés de son amour ou, le cas échéant, envers lesquels a été entretenu un manque que l’on souhaiterait combler avant qu’il ne soit trop tard. Il n’est pas rare que la souffrance de celui qui va partir soit motivée pas la douleur qu’il ressent de la souffrance qu’il va, involontairement, imposer à ceux qu’il aime sans avoir eu le temps de se réconcilier. La réconciliation, le désir d’union ou de ré-union à distance des brisures du passé prend souvent dans les derniers instants une force qu’il faut savoir soutenir et accompagner. Ce qui peut ajouter à la souffrance c’est l’impossibilité d’effacer les traces d’un passé parfois douloureux, de conflits non éteints. Sans penser qu’il sera possible de tout effacer, au moins le pardon accordé pourra-t-il permettre d’accéder à une fin de vie plus sereine. On peut demander au malade s’il souhaite s’adresser, par notre intermédiaire à ceux qu’il aurait pu faire souffrir, sans entretenir la culpabilisation.

Il peut être utile de réveiller le souvenir de moments heureux passés en famille, entre amis, d’actions positives, de réalisations qui ont apporté du bonheur à autrui, un ultime moment de contemplation devant ce que celui qui va partir a construit et qu’il laissera en héritage.

Si la personne est ouverte à la dimension spirituelle de son existence et en respectant ses convictions, il sera possible de parler du sens de la vie. Il suffit d’ouvrir cette porte, de l’aider à l’ouvrir, sans contrainte. Il n’est pas nécessaire de recourir aux discours classiques sur la valeur de la souffrance. Si certaines expressions sont bien connues comme la valeur rédemptrice de la souffrance, il vaut mieux les laisser dans les pages que tant de grands prédicateurs nous ont laissées. Cette belle littérature n’est pas écrite pour le malade en fin de vie, pour l’accompagnement au lit du malade.

Le cardinal Veuillot en fin de vie nous a laissé son témoignage : « Nous savons faire de belles phrases sur la souffrance. Moi-même j’en ai parlé avec chaleur. Dites aux prêtres de n’en rien dire ; nous ignorons ce qu’elle est, et j’en ai pleuré. »

Si le malade en fin de vie ouvre la porte de son intimité spirituelle qu’il suffise d’évoquer le grand silence qui s’est étendu sur le Golgotha après que Jésus s’est adressé à sa mère et à saint Jean « Voici ton fils… Voici ta mère »… juste avant de lancer sa dernière parole : « Consummatum est ! ».

Une lecture, une musique que la personne aime pourront adoucir les moments qui vont l’emporter dans l’au-delà qu’il ne connaît pas mais qu’il pressent, sans laisser du temps à l’installation de pensées pessimistes et moins encore d’anéantissement devant cet inconnu qu’il n’est pas pertinent de représenter comme un vide absolu.

Le 2 janvier 2023, Raphaël Enthoven, philosophe, conjointement avec Pierre Juston, juriste et délégué de l’ADMD, ont répondu à l’essayiste Erwan Le Morhedec qui « dans la tribune publiée dans FigaroVox les accusait de discréditer la parole des chrétiens dans le débat sur la fin de vie »[1].

Je retiens cette invective sans nuance : « La « rare agressivité » qui touche tant Monsieur Le Morhedec est celle de concitoyens qui, s’étant arrachés au prix du sang à la tutelle de l’Église depuis plus d’un siècle, ne souhaitent pas que les représentants de ce qui n’est désormais qu’une association civile et privée se prennent à nouveau pour des législateurs. On peut le comprendre. »

Je ne sais pas à quoi ils font allusion par ces mots « s’étant arrachés au prix du sang à la tutelle de l’Église »… Peut-être veulent-ils rappeler le sang versé pendant la terreur en oubliant qui étaient les victimes ?

Qu’il me soit permis de répondre en ma modeste qualité de médecin spécialiste, partageant sans réserve, et sans me reconnaître dans la « rare agressivité » qu’ils ont voulu déceler, la position d’Erwan Le Morhedec. Mais dans ma réponse je tiens à en rester à me présenter avant tout comme membre actif de « l’association civile et privée » qui, pour certains s’appelle aussi l’Église catholique.

Messieurs,

Vous avez ouvert des hostilités mais vous vous trompez de guerre : ce faisant vous avez rendu impossible le dialogue sur la fin de vie parce que vous l’avez pris en otage et réduit à celui, inconciliable par essence, entre d’un côté les philosophes et les militants qui veulent une législation favorable au droit à mourir, sans avoir à passer par la case meurtre programmé avec ses conséquences juridiques et pénales.

Vous faites des « droits » dont nous disposons le seul critère de la liberté. Dont acte, mais si je suis bien d’accord avec vous sur la notion de liberté garantie par la loi, il n’en reste pas moins que nous ne partageons pas les mêmes références anthropologiques concernant la définition de la liberté. Je le conçois bien dans le contexte des convictions que vous assumez mais qui sont incompatibles avec celles de la « minorité vindicative » à qui vous contestez la position, ce que vous appelez avec un certain mépris, d’exercer un « magistère moral », à vos yeux insupportable. Mais, sur ce point il est évident qu’aucun pont n’est possible pour se rencontrer dans un dialogue serein.

Malgré le défi que vous lancez, permettez-moi de vous répondre, sans fair preuve de la « rare agressivité » que vous taclez. 

Vous écrivez : « Réduire le souhait de mourir au manque de soins palliatifs, à l’insuffisance des structures d’accueil ou bien au défaut de personnel, et considérer, par conséquent, qu’il suffirait de remédier à tout cela pour qu’aucun malade, jamais, n’exprime le souhait d’avancer l’heure de sa mort, c’est confondre l’explication et l’excuse. »

La réduction que nous ferions du « souhait de mourir au manque de soins palliatifs » est un mauvais procès que vous faites à tous ceux qui s’emploient, professionnels de santé et bénévoles, à accompagner les malades en fin de vie.

Venons-en à votre raisonnement en trois points et à vos arguments qui condamnent la position de ceux qui contestent le droit de pouvoir librement désirer mettre un terme à ses jours ou tout simplement que cela devienne un droit.

  1. « …il arrive, hélas, que ce ne soit pas le défaut de soins palliatifs qui pousse les gens à vouloir mourir, mais la maladie elle-même. »

Vous avez raison et je partage vos arguments émis sous la forme d’un catalogue des situations devant lesquelles le médecin – et je parle d’expérience et en mon nom propre – est impuissant quand, comme vous le dîtes justement, « être prisonnier de son corps n’est pas soluble dans la morphine ». Sans prolonger inutilement le discours autour des soins palliatifs qui ne se résument pas à plonger un malade dans une quasi-inconscience que peuvent provoquer les morphiniques, non, je ne garde pas les clefs de la cellule de celui que vous appelez un prisonnier. Je sais que je suis là, même toujours impuissant quand arrive la fin de la vie, même si je sais si maladroitement accompagner celui qui va partir, qui est arrivé au terme du chemin. Je ne suis pas un héros et lui non plus s’il refuse le poison mortel mais j’essaie d’« être là »[2], pour l’aider jusqu’au bout à ouvrir la porte parce qu’il sait que la mort est là. Il sait et il l’accepte sans la vouloir. Quant à vous, vous avez opté, selon vous, pour l’ultime liberté. Vous anticipez l’heure, avec de bons sentiments mais, pardonnez-moi de le dire, non sans brutalité en ouvrant la porte de sortie… sur une voie sans issue.

  • « Réduire le souhait de mourir au manque de soins palliatifs… c’est faire comme si une décision était réductible à l’ensemble des déterminations qui la précèdent. »

Et de recourir à la rhétorique ronflante : « la souveraineté et la responsabilité d’une décision, quelle qu’elle soit, ne sont pas solubles dans les causes qu’on lui trouve ». Je crois avoir bien compris le fil directeur de votre discours, comme, d’ailleurs celui qui se tisse non sans qualité, dans les cénacles militants pour le Droit à Mourir dans la Dignité : « Liberté, liberté chérie ». Permettez-moi de poser une question : la vraie vie de ses origines à son terme se résume-t-elle à dire « je » et à s’arrêter là, sans savoir que l’on peut aussi dire « tu » et « nous » ? Et vous ne me ferez pas croire qu’en fin de vie il ne reste que le « je » parce que malgré tout, vous avez abandonné à leur solitude ceux qui, c’est ma conviction, n’ont pas renoncé à quitter, malgré cette ultime liberté, ceux à qui ils disent encore « vous m’aimez et je vous aime »… Oui, sans doute « vous êtes là » mais pas avec les mêmes moyens, pas avec les mêmes raisons, ni même avec les sentiments.

  • « Enfin, vous opposez « soins palliatifs » et « aide à mourir », alors que les deux vont la main dans la main. »

Involontairement, vous m’offrez un boulevard pour la dernière réponse. Nous n’opposons pas les « soins palliatifs » et l’« aide à mourir ». Oui elles vont main dans la mais ce n’est pas la même main, celle qui tient jusqu’au bout celle de celui qui s’en va, et celle qui, même avec des bon sentiments, précipite dans l’au-delà celui qui veut partir simplement parce qu’il en a ainsi décidé.

Sans doute partageons-nous un certain nombre de convictions sur la nécessité de promouvoir et de développer les soins palliatifs. Et vous appuyez non sans grandeur sur des mots justes : « mettre un terme aux souffrances, prendre tous les moyens de les apaiser, un véritable plan de financement des soins palliatifs ». Nous en sommes bien d’accord, mais et en allant au-delà de la vanité d’un combat inutile, de cette « guerre de trop », je ne vous suivrai pas, sans chercher à vous convaincre par les mots ni par les sentiments, pour réclamer l’ultime liberté qui s’arrêtera une fois la porte franchie et quand celui qui l’aura ouverte devant celui qui s’en va, repartira, comme si de rien n’était. Vous n’avez pas cette conviction, je le sais, mais quant à moi il n’y a pas d’ultime liberté. Vous avez cité Lacordaire : « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». Vous connaissez sans doute, j’en suis aussi convaincu, la source qui le guidait : « la Vérité vous rendra libre ».


[1] https://www.lefigaro.fr/vox/societe/raphael-enthoven-pierre-juston-pourquoi-nous-sommes-favorables-a-l-euthanasie-20230102

[2] « Être là » : L’ASP fondatrice (Accompagner en Soins Palliatifs) et 42 associations d’accompagnement bénévole en soins palliatifs ont fondé Être-là, nouveau mouvement national des ASP, le 5 octobre 2021

Bras droit de saint Jean-Paul II, Joseph Ratzinger était présenté dans les médias comme « Panzerkardinal ».

Un terme plutôt caricatural pour signifier sans délicatesse et ses origines allemandes et la charge qu’il exerçait comme Préfet du Dicastère pour la Doctrine de la Foi.

Il est de tradition qu’à la disparition d’un personnage connu on dresse de lui un portrait qui sans prétendre à l’exactitude le définit devant l’histoire.

Quelle image le monde contemporain gardera-t-il de Benoît XVI ?

La richesse de la personnalité de Joseph Ratzinger qui s’est prolongée pendant les années du pontificat de Benoît XVI n’échappe à personne, quelle que soit ses convictions.

Les visages qui se présentent à nous après sa disparition sont multiples :  intellectuel, penseur, théologien, pasteur, mélomane et pianiste…

Autant de visages qui sont le reflet avant tout d’un homme qui nous impressionne par l’étendue de ses connaissances et la profondeur de sa réflexion qui s’est traduite par de nombreuses publications avant et pendant son pontificat[1].

Mais, au risque de la réitération, ce sont les visages d’un homme que nous avons suivi, peut-être accompagné par la prière, pendant les dernières années et notamment après qu’il eut renoncé à la charge, devenue trop lourde pour ses épaules, de successeur de Pierre.

Un homme d’une stature peu commune et d’une simplicité qu’ont confirmée tous ceux qui ont travaillé à ses côtés ou qui l’ont rencontré : des ecclésiastiques dont plusieurs papes, des hommes politiques, des intellectuels, des artistes, …

« Le choix de Joseph Ratzinger comme pontife suprême s’explique par des considérations qui tiennent aussi bien à sa personnalité qu’à l’ampleur des défis auxquels est exposée l’Église catholique. Ainsi, on s’est refusé à souscrire aux jugements sommaires qui tendaient à le présenter comme un Bavarois obtus, un grand inquisiteur, un prince de l’Église attaché à ses privilèges, un nostalgique de l’Église préconciliaire et un théologien réactionnaire. En revanche, on a été sensible à ses qualités humaines et intellectuelles : une vaste culture philosophique et littéraire, des connaissances encyclopédiques en théologie, sa maîtrise des langues étrangères, la clarté de son propos et son sens des nuances dans l’exposé de la doctrine chrétienne. »

Ainsi le définit Jean Klein en 2007 dans les premières années de son pontificat[2].

Lors de sa renonciation en 2013, le monde a été, le mot est faible, sous le choc. Et on pouvait lire sous la plume de Solange Bied-Charreton, dans le Monde du 2 mars 2013 sous le titre provocateur « Je veux un pape ringard » [3] un article dont le seul titre disait tout ce que les médias pensait de Benoît XVI.

Alors, pour revenir au bilan de Joseph Ratzinger-Benoît XVI-Pape émérite, que gardera le monde contemporain de celui qui vient de nous quitter après plusieurs années dans la solitude où il avait voulu se retirer au Vatican pour prier ?

J’avais répondu à S. Bied-Charreton qui appelait de ses vœux « un pape ringard » pour lui succéder alors qu’elle écrivait en 2013 l’article sus-cité : « Dans la joie ou dans la tristesse, tous l’ont bel et bien enterré. Et pourtant Joseph Ratzinger respire encore ! ». Ma réponse était rédigée dans un langage que j’ai voulu à la hauteur de sa provocation, et sans irrespect mais au contraire pour exprimer combien je suis reconnaissant à Benoît XVI d’avoir incarné ce que nous attendons tous d’un pape moderne et qu’il a été pour le plus grand bien de l’Église j’avais écrit : « Je veux …

  • « Un pape Fashion » : pas au sens habituel du terme, question style vestimentaire, mais un pape qui tient sa place dans le paysage médiatique autrement que comme une icône de magazine people, parce qu’il a des choses vraies et vitales à nous dire sur la foi et sur la morale.
  • « Un pape qui sorte des clous de temps en temps » : non par souci d’originalité et de ne pas faire comme tout le monde, mais parce qu’il est le représentant institué de celui au sujet duquel il avait été prédit à sa mère qu’il serait « un signe de contradiction ».
  • « Un pape hors-piste » : non pas parce qu’il déraille ou qu’il dérape, mais parce qu’il a le devoir de ne pas suivre le consensus mou de l’évolution naturelle en pente descendante vertigineuse de la société en manque de repères.
  • « Un pape « Rallye-Dakar » » : qui n’a pas peur de l’aventure, sans courir l’aventure pour l’épate, parce qu’il sait bien que sa fonction est de marcher en tête, en tenant bien en main la Croix qu’il reçoit en héritage de son maître, comme l’insigne de sa charge et obéissant au mandat de la porter pour le suivre.
  • « Un pape version tempête apaisée plutôt que radeau de la Méduse » : parce qu’il est à la barre de la barque de Pierre et qu’il a pour mission d’aller au large, malgré les tempêtes.
  • « Un pape « Vendée-Globe » » : qui ne craint pas d’affronter les 40° rugissants qui se déchaînent chaque fois qu’il prononce une parole qui va à contre-courant du tout-prêt-à-penser dans les domaines tellement sensibles de la foi et de la morale.
  • « Un pape qui siffle la fin de la récré » : maintenant tout le monde rentre à la maison et plus question de réinventer et de faire des expériences pour voir si ça marche mieux sous prétexte que les méthodes d’avant c’est plus « fashionable ».
  • « Pas un pape « pot-de-fleurs-parce-que-c’est-décoratif » : un pape qu’on invite pour les grandes occasions parce que ça fait bien sur la photo dans les archives historiques.
  • « Pas un pape langue de bois » : un pape qui parle haut et fort, qui nous fixe des exigences et des objectifs élevés à la mesure de la mission qui a été celle de l’Eglise de toujours, depuis le premier jour, avec les premiers chrétiens dont beaucoup furent des martyrs, et jusqu’à aujourd’hui.
  • « Pas un pape G.O. » : qui fait « gouzi-gouzi » pour déplaire à personne.
  • « Pas un pape qu’on laisse jouer au pape » : parce que c’est une figure incontournable et qu’on ne peut plus s’en passer même si on ne l’écoute plus.
  • « Pas un pape qu’on n’autorise pas à parler des droits de l’homme » : parce que la meilleure façon de servir les droits de l’homme c’est d’affirmer et de respecter les droits de Dieu.

Nous voulons un pape qui marche devant nous, un pape qui prie, un pape qui nous ouvre le chemin, un pape qui n’a pas peur d’aller à rebours des modes qui passent, parce que c’est la mission que lui a confiée Jésus-Christ : « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église ».

Une immense reconnaissance à Benoît XVI qui a été le pont dont l’Église avait besoin pour prendre le bâton de relais qu’avait laissé Jean-Paul II et le transmettre à son successeur, le pape François.


[1] https://www.wikiwand.com/fr/Beno%C3%AEt_XVI#/%C5%92uvres

[2] https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/ndc43.pdf Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) Jean Klein, Mai 2007

[3] https://www.lemonde.fr/idees/article/2013/03/02/je-veux-un-pape-ringard_1841822_3232.html