Mon cher cousin,
J’ai pris connaissance des trois principes que ton maître à penser t’a rappelés dernièrement, histoire de reprendre la main et de te reprendre en main.
Je les résume :
- Ne pas croire que tu « les » convaincras en les persuadant que Dieu n’existe pas.
- Ne pas nourrir de faux espoirs de « les » rassurer en « les » laissant croire que l’enfer n’existe pas, que le diable est un mythe…
- La voie que tu devras toujours privilégier : l’indifférence.
Il ne m’intéresse pas vraiment de développer par le détail des arguments pour te convaincre de l’ineptie de ces principes.
Vous avez vos méthodes et nous avons les nôtres. Nous sommes au moins convaincus d’une chose, peut-être la seule que nous avons en commun : il y aura toujours entre vous en nous un abîme d’incommunicabilité. Nous devrons nous y faire.
… Cela ne m’empêche pas de m’exprimer, tout comme ton maître ne s’en prive pas.
Laisse-moi te raconter quelques histoires qui, sans doute, font partie de l’histoire que vous entretenez en les transmettant parmi vous parce que Shaytân, votre maître tout-puissant, en est un acteur de premier plan. Il se trouve que nombre de ces histoires font partie d’un trésor que nous appelons les Saintes Écritures. Tu me diras qu’il est curieux que nous les ayons conservées mais je te répondrai que justement elles ont pleinement leur place à titre d’exemple.
Je ne remonterai pas aux origines dont il est question dans le troisième principe que te rappelle le Sbire, sa première victoire !
Je vais avancer dans l’histoire jusqu’au livre que nous appelons le livre de Job. Je suis sûr que tu ne l’as jamais lu et, dès lors, je ne peux faire l’économie de quelques mots d’explication.
La thématique du livre de Job prend place d’emblée au cœur de la théologie spirituelle. En effet, le destin de Job et les divers dialogues qui en permettent l’interprétation interrogent sur des questions essentielles concernant la foi et l’espérance du juste aux prises avec une souffrance imméritée. Pour bien le comprendre le livre de Job exige des clefs de lecture théologique qui introduisent sur des questions majeures auxquelles tout croyant, tôt ou tard, se trouve un jour confronté : le mystère du mal et de la souffrance, en particulier celle qu’il estime injustifiée, la rencontre de Dieu jusque dans l’échec apparent de toute réussite humaine, la confrontation de la fidélité de l’homme avec la justice de Dieu, les difficultés du dialogue avec l’homme souffrant et enfin le sens de la vie elle-même dès lors qu’elle doit intégrer la perspective de la mort[1].
Livre de Job
[Du livre je ne retiens ici que les versets qui intéressent mon propos.]
Chapitre 1 – Job, ses richesses, sa piété
1 Il y avait dans le pays de Hus un homme nommé Job; cet homme était intègre, droit, craignant Dieu et éloigné du mal.
2 Il lui naquit sept fils et trois filles.
3 Il possédait sept mille brebis, trois mille chameaux, cinq cents paires de bœufs, cinq cent ânesses et un très grand nombre de serviteurs; et cet homme était le plus grand de tous les fils de l’Orient.
…/…
Première série d’épreuves
6 Il arriva un jour que, les fils de Dieu étant venus se présenter devant Yahweh, Satan vint aussi au milieu d’eux.
7 Et Yahweh dit à Satan: « D’où viens-tu? » Satan répondit à Yahweh et dit: « De parcourir le monde et de m’y promener. »
8 Yahweh dit à Satan: « As-tu remarqué mon serviteur Job? Il n’y a pas d’homme comme lui sur la terre, intègre, droit, craignant Dieu et éloigné du mal. »
9 Satan répondit à Yahweh: « Est-ce gratuitement que Job craint Dieu?
10 Ne l’as-tu pas entouré comme une clôture, lui, sa maison et tout ce qui lui appartient? Tu as béni l’œuvre de ses mains, et ses troupeaux couvrent le pays.
11 Mais étends la main, touche à tout ce qui lui appartient, et on verra s’il ne te maudit pas en face! »
12 Yahweh dit à Satan: « Voici, tout ce qui lui appartient est en ton pouvoir; seulement ne porte pas la main sur lui. » Et Satan se retira de devant la face de Yahweh.
Suivent les versets qui racontent par le détail les épreuves qui frappèrent Job et toute sa maison (versets 13-19)
…/…
Chapitre 2 – Job frappé d’une lèpre maligne
1 Il arriva un jour que, les fils de Dieu étant venus se présenter devant Yahweh, Satan vint aussi au milieu d’eux se présenter devant Yahweh.
2 Et Yahweh dit à Satan: « D’où viens-tu? » Satan répondit à Yahweh et dit: « De parcourir le monde et de m’y promener. »
3 Yahweh dit à Satan: « As-tu remarqué mon serviteur Job? Il n’y a pas d’homme comme lui sur la terre, intègre, droit, craignant Dieu et éloigné du mal. Il persévère toujours dans son intégrité, quoique tu m’aies provoqué à le perdre sans raison. »
4 Satan répondit à Yahweh et dit: « Peau pour peau! L’homme donne ce qu’il possède pour conserver sa vie.
5 Mais étends ta main, touche ses os et sa chair, et on verra s’il ne te maudit pas en face. »
6 Yahweh dit à Satan: « Voici que je le livre entre tes mains; seulement épargne sa vie! »
7 Et Satan se retira de devant la face de Yahweh. Et il frappa Job d’une lèpre maligne depuis la plante des pieds jusqu’au sommet de la tête.
…/…
Je voudrais à présent que tu consentes à lire ce chapitre du livre d’Amos[1]. Il fait partie des livres prophétiques.
Amos 6, 1-7
1 Malheur à ceux qui vivent tranquilles dans Sion, et en sécurité sur la montagne de Samarie, les plus nobles du premier des peuples, auprès desquels va la maison d’Israël
2 Passez à Calné et voyez; allez de là à Hamath la grande ; descendez à Geth des Philistins ; Ces villes sont-elles plus prospères que ces royaumes, et leur territoire est-il plus étendu que le vôtre?
3 Vous éloignez le jour du malheur, et vous faites approcher le règne de la violence !
4 Ils sont vautrés sur des lits d’ivoire, et s’étendent sur leurs divans ; ils mangent les agneaux du troupeau, et les veaux engraissés dans l’étable.
5 Ils folâtrent au son de la harpe ; comme David, ils ont inventé des instruments de musique.
6 Ils boivent le vin dans de larges coupes, ils se parfument avec les huiles les plus exquises. Et ils ne sont pas malades de la plaie de Joseph.
7 C’est pourquoi ils iront en exil, à la tête des captifs, et les cris de joie des voluptueux disparaîtront.
Et enfin je t’envoie vers un troisième livre, également de la série des livres prophétique, le livre de Malachie[
Malachie 3, 13-20
13 Vous avez contre moi des paroles dures, dit le Seigneur. Et vous osez demander : « Qu’est-ce que nous avons dit entre nous contre toi ? »
14 Voici ce que vous avez dit : « Servir Dieu n’a pas de sens. A quoi bon garder ses préceptes, mener une vie sans joie en présence du Seigneur de l’univers ?
15 Nous en venons à déclarer heureux les arrogants ; même ceux qui font le mal sont prospères ; même s’ils mettent Dieu à l’épreuve, ils s’en tirent ! »
16 Alors ceux qui craignent le Seigneur s’exhortèrent mutuellement. Le Seigneur fut attentif et les écouta ; un mémorial fut écrit devant lui en faveur de ceux qui le craignent et qui ont le souci de son Nom.
17 Le Seigneur de l’univers déclara : Ils seront mon domaine particulier pour le jour que je prépare. Je serai indulgent envers eux, comme un homme est indulgent envers le fils qui le sert fidèlement.
18 Vous verrez de nouveau qu’il y a une différence entre le juste et le méchant, entre celui qui sert Dieu et celui qui refuse de le servir.
19 Voici que vient le jour du Seigneur, brûlant comme une fournaise. Tous les arrogants, tous ceux qui commettent l’impiété, seront de la paille. Le jour qui vient les consumera, déclare le Seigneur de l’univers, il ne leur laissera ni racine ni branche.
20 Mais pour vous qui craignez mon Nom, le Soleil de justice se lèvera : il apportera la guérison dans son rayonnement.
Ces trois passages sont historiquement totalement indépendants. Cependant permets-moi de les rapprocher pour en tirer une conclusion qui, pour être personnelle, ne me semble pas trop incongrue et dans le but de donner la réplique à ton maître à penser dont toute la stratégie consiste à attaquer les créatures dans leur chair pour asservir leur âme.
Tu noteras que ce dernier entre bien singulièrement dans l’existence de Job. Tu remarqueras aussi comment mon Maître et le tien dialoguent. Il est assez plaisant ce dialogue. « D’où viens-tu ?… De parcourir le monde et de m’y promener. » Un peu comme si le monde était sa propriété, son lieu de villégiature, oubliant qu’il a été créé et qui l’a créé. Tu sais bien que ton maître, le grand Shaytân, envoie ses serviteurs, dont toi-même, pour semer la zizanie. Et finalement, il faut bien l’avouer, le résultat est assez probant. Mais n’oublie pas qu’il n’agit pas sans une permission explicite : « Voici, tout ce qui lui appartient est en ton pouvoir; seulement ne porte pas la main sur lui. » Et aussi : « Voici que je le livre entre tes mains; seulement épargne sa vie! » Aussi grand soit son pouvoir, il n’est qu’un pouvoir délégué et qui ne va jamais au-delà de la liberté que peut toujours garder la créature. Si mon Maître lui a accordé, non sans risque, la liberté, ce n’est pas pour autant que vous avez toute faculté pour l’asservir dans n’importe quelle condition et autrement que par le seul pouvoir dont vous disposez : la tentation.
Job a toujours gardé sa fidélité dans l’épreuve et ce, malgré l’opposition et les sarcasmes dont il a été l’objet de la part de ses proches et de ses amis.
En revanche les livres d’Amos et de Malachie nous enseignent deux choses :
– Dans la prospérité l’homme ne tarde pas à abandonner la voie de la fidélité qui était la condition même de son bonheur.
– Suivre la voie de la fidélité exige des renoncements, de l’effort, de la volonté, et par comparaison, ceux qui ne craignent pas Dieu, vivent –en apparence- dans la prospérité et s’en tirent en dépit de leurs mépris des préceptes et des commandements.
Job est un exemple pour toute créature qui veut rester fidèle à Dieu et garder la foi. De nos jours le matérialisme ambiant génère toutes sortes de satisfactions comme de déceptions et nombreux sont ceux qui capitulent quand ils rencontrent la souffrance, l’échec, la perspective de la lutte. Le christianisme n’est pas, comme le prétendent ceux qui n’ont pas compris grand-chose à son message ou tout simplement ne l’acceptent pas, une religion doloriste, une religion qui cultive la passivité et la résignation face à l’épreuve physique ou morale.
G.K. Chesterton a écrit un livre remarquable qui a pour titre « La Sphère et la Croix »[3]. Il décrit avec l’humour qui le caractérise l’opposition entre l’esprit du monde et l’esprit du christianisme.
Je le cite : « Que pourrions-nous trouver qui exprime mieux votre philosophie et la mienne que la forme de cette croix et celle de cette boule ? Ce globe est parfaitement raisonnable ; cette croix est déraisonnable. C’est un animal à quatre pattes dont l’une est plus longue que les autres. Le globe est logique. La croix est arbitraire. Avant tout le globe est conséquent avec lui-même ; la croix est essentiellement et par-dessus tout, ennemie d’elle-même. La croix est le conflit de deux lignes hostiles, de deux directions inconciliables. Cette chose muette qui se dresse ici est une collision, une rupture violente, une lutte dans la pierre. Nous en avons assez de ce symbole. Sa forme même est une contradiction. »
« What could possibly express your philosophy and my philosophy better than the shape of that cross and the shape of this ball? This globe is reasonable; that cross is unreasonable. It is a four legged animal, with one leg longer than the others. The globe is inevitable. The cross is arbitrary. Above all the globe is at unity with itself; the cross is primarily and above all things at enmity with itself. The cross is the conflict of two hostile lines, of irreconcilable direction. That silent thing up there is essentially a collision, a crash, a struggle in stone. Pah! That sacred symbol of yours has actually given its name to a description of desperation and muddle. When we speak of men at once ignorant of each other and frustrated by each other, we say they are at cross-purposes. Away with the thing! The very shape of it is a contradiction in terms. »
Ainsi des réflexions qu’adresse l’un des personnages que tu connais bien, le Professeur Lucifer, adressées à son interlocuteur, que Chesterton appelle le Moine Michaël.
Je ne vois plus rien d’autre à ajouter … sinon pour conclure qu’aujourd’hui on rencontre encore des hommes et des femmes qui à l’instar de Job font face avec courage et puis la foule des « vautrés » qui affirment que « servir Dieu n’a pas de sens ».
Porte toi bien et à une prochaine fois.
2013.11.07
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