Cher Clive Staples[i],
A titre d’adresse et pour l’introduire, je vous dédie ces quelques lignes que je voudrais en toute simplicité appeler la « philosophie » de ce blog.
Vous êtes aujourd’hui un écrivain bien connu, encore plus connu devrais-je dire, depuis que l’univers et les personnages que vous avez créés ont acquis une nouvelle vie avec Walt Disney Pictures et « The Chronicles of Narnia : Prince Caspian[ii]».
Avant d’aller plus loin vous me permettrez de vous citer : « Mon argument contre Dieu était que l’univers me semblait terriblement cruel et injuste. Mais d’où me venait le concept du juste et de l’injuste ? On ne dit pas qu’une ligne est tordue tant qu’on n’a pas une certaine idée de ce qu’est une ligne droite. À quoi donc est-ce que je comparais l’univers quand je le qualifiais d’injuste ? »
On lit cette citation de vous – je n’ai pas trouvé la référence exacte – et dans la continuité cette réflexion : « Ouvrir un livre de Lewis, c’est toujours comme ouvrir une fenêtre dans une pièce qui sent le renfermé. » [Dieu au banc des accusés – Quatrième de couverture]
Le livre s’ouvre par une préface où on peut lire : « Lewis enjambe tous les pièges dans lesquels se débattent tant d’auteurs contemporains, y compris les incroyants qui pensaient nous surprendre par leur Mythe du Dieu incarné [John Hick, The Myth of God Incarnate, Westminster Press, Philadelphia, 1977]. De nos jours, le mot mythe … est, au mieux, défini comme un genre de langage imagé pour sauvages.
Encore plongé dans l’athéisme farouche de sa jeunesse Lewis était allé aussi loin que ces incroyants comme il ressort d’une lettre datée du 12 octobre 1916 et adressée à l’un de ses plus vieux amis : « Toutes les religions ou mythologies ne sont que pures inventions humaines. … Ainsi le christianisme prit naissance – une mythologie parmi tant d’autres. »
Walter Hooper, Oxford 1978
Je vous connaissais déjà par l’intermédiaire d’un autre de vos livres The Screwtape Letters[iii], dont la version française a pour titre « Tactique du diable – Lettres d’un vétéran de la tentation à un novice[iv] ».
Accordez-moi de citer votre préface : « Je n’ai pas l’intention d’expliquer au lecteur de quelle façon l’échange de lettres que je publie dans ce livre m’est tombé entre les mains. Au sujet du diable et des démons, les hommes peuvent commettre deux erreurs. Elles sont diamétralement opposées mais aussi graves l’une que l’autre. L’une consiste à nier leur existence, l’autre à y croire mais à leur porter un intérêt excessif et malsain.[v] »
Il apparaît en effet, que tout l’intérêt que les hommes portent à ce personnage et au monde infernal auquel il appartient, consiste en ce qu’il est considéré soit comme un mythe sans fondement soit comme une réalité démesurément impliquée dans le monde où nous vivons. Et, pour vous citer encore, vous dites de lui, toujours dans la préface : « Le lecteur fera bien de se rappeler que le diable est un menteur. »
Ainsi donc sa première victoire : faire croire qu’il n’existe pas. Il n’est que de citer Baudelaire lui-même qui met sur les lèvres d’un prédicateur imaginaire cet avertissement : « Mes chers frères, n’oubliez jamais, quand vous entendrez vanter le progrès des lumières, que la plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu’il n’existe pas ![vi] ». Dans le poème, un personnage qui parle à la première personne -Baudelaire lui-même- raconte sa rencontre avec « un être mystérieux » dont il ne tarde pas à se convaincre qu’il est le diable lui-même qui lui confie avoir été, pour la première fois, troublé par ce prédicateur. Et Baudelaire de poursuivre : « Encouragé par tant de bontés, je lui demandai des nouvelles de Dieu, et s’il l’avait vu récemment. Il me répondit, avec une insouciance nuancée d’une certaine tristesse : « Nous nous saluons quand nous nous rencontrons, mais comme deux vieux gentilshommes, en qui une politesse innée ne saurait éteindre tout à fait le souvenir d’anciennes rancunes. »
Mais le diable sait aussi jouer sur un autre registre qui consiste à faire croire qu’il est partout et qu’il tire toutes les ficelles. C’est lui accorder quand même plus de pouvoir qu’il n’en a réellement.
La « Tactique du diable » est une correspondance qu’entretient Screwtape, le vétéran de la tentation, avec un novice, Wormwood, en quelque sorte envoyé en stage ouvrier sur le terrain où il est chargé d’entraîner hors du droit chemin un nouveau converti.
Au fil de la correspondance à sens unique, puisque toutes les lettres sont signées de Screwtape, il n’est pas difficile de discerner la plupart des situations classiques auxquelles les êtres humains sont un jour ou l’autre confrontés quand il est question de ce qu’il est convenu d’appeler la « vie intérieure ». Depuis plusieurs années un magazine consacre une page de sa livraison hebdomadaire du week-end, à un entretien avec une personnalité des milieux les plus divers : les médias, les arts, la science, la politique… etc. sur le mode du questionnaire de Proust. La page est intitulée « Dans la tête de … ». Il manque rarement une question sur le thème « Et Dieu dans tout ça ? » avec les variations sur le même thème. Les réponses sont très variables plongeant dans les abîmes insondables de la bêtise pour monter jusqu’aux aux sommets d’une réflexion hautement spirituelle en passant par la platitude désolante de l’ignorance ou de l’indifférence. J’y reviendrai.
La question de « Dieu » n’est pas nouvelle… ou pour mieux l’exprimer, elle se pose toujours depuis la nuit des temps et ce qui importe n’est pas tant la question que la réponse. La situation du monde contemporain interroge toute personne qui veut bien ouvrir les yeux et accepter sans a priori d’y voir son propre rapport à Dieu.
Alors ce blog ?
On y rencontrera plusieurs personnages que je voudrais brièvement présenter.
L’alter ego de Screwtape, dont le nom est difficilement traduisible en français, est devenu « le sbire de Shaytân[vii] » et Wormwood, le novice, l’apprenti diable, s’appelle Charly[viii] &[ix].
Il n’était pas aisé de trouver un équivalent pour traduire Wormwood. « Wormwood » est le nom d’une plante qui n’a pas très bonne réputation. De plante elle est devenue par distillation une boisson alcoolisée qui a pendant longtemps été interdite en France, l’absinthe. Elle était supposée avoir des vertus aphrodisiaques et stimulantes pour la création. Sans doute, cher Clive Staples, avez-vous choisi ce nom pour symboliser le système universel de la tentation, lequel a de tout temps fait ses preuves et qui joue sur deux registres, la recherche de sensations nouvelles et grisantes et l’imagination créative.
Un troisième personnage de mon crû intervient auprès de la cible, le nouveau converti. Je l’ai appelé PizziCatho. C’est l’Ange gardien de ce nouveau converti que Charly doit entraîner par la tentation sur la mauvaise pente. Dans les lettres il entretient avec Screwtape une relation « confraternelle » et ils s’interpellent comme des cousins. Qui ne sait que le pizzicato est une technique particulière qui consiste à jouer d’un instrument à cordes en pinçant les cordes[x], sauf que le mot italien ne comporte pas de « h ».
L’association du sens du mot et l’addition d’un « h » n’a guère besoin d’autre explication. Ou peut-être, suffit-il d’une précision : des convictions affichées et une manière de les exprimer sur le mode de petites touches … en pizzicato !
… à suivre
PS : On trouvera aussi des réflexions diverses sur des sujets d’actualité, sur la musique, sur la littérature mais je tiens à ce fil conducteur qui est si bien formulé par la question « Et Dieu dans tout ça ? »
Calamus
2013-02-22
[ii] http://inklingsfocus.com/french.html & http://trailers.apple.com/trailers/disney/thechroniclesofnarniaprincecaspian/
[iii] The Screwtape Letters, 1942
[iv] Tactique du diable, Collection ebv, 2006
[v] Magdalen College, Oxford, le 5 juillet 1941
[vi] Le Spleen de Paris, Repris en 1864 sous le titre Petits poèmes en prose. « Le joueur généreux » n° XXIX
[vii] http://www.at-tawhid.net/article-les-origines-du-nom-du-diable-shaytan-et-de-son-surnom-ar-rajim-at-tabari-et-al-qurtubi-104450679.html
[viii] http://schoolworkhelper.net/daniel-keyes-flowers-for-algernon-summary-analysis/
[ix] Charly : J’ai trouvé ce prénom sympathique, qui est celui du personnage principal de la nouvelle de l’écrivain américain Daniel Keyses, « Des fleurs pour Algernon ». Ils ne se ressemblent que par le prénom mais les personnages n’ont rien en commun. De plus je n’ai pas retenu l’orthographe du héros du livre qui a une connotation apparentée à un journal trop bien connu dont je ne partage pas les orientations.
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